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Budget 2025 : vous me remettrez bien un peu de placebo ?
Reconnaissons que c’était, pour Michel Barnier, un exercice impossible. Alors que le déficit public atteint un niveau historique, devoir, un mois à peine après son entrée en fonction, présenter un projet de loi de finances à une assemblée qui toute entière ou presque souhaite son échec, nécessite une abnégation certaine.
Cet article tente de synthétiser les principales mesures du projet de loi de finances 2025 tout en proposant une critique constructive des orientations proposées.
Au commencement, un déficit 2024 vertigineux
En guise d’entrée en matière, le dossier transmis aux députés nous livre cette information : le déficit public atteindrait cette année 6,1 % du PIB. Nous sommes très loin des 4,4 % initialement prévus. Les mesures d’économie annoncées poing sur la table en début d’année, quand elles n’étaient pas dès l’origine un trompe l’œil, n’ont pas été livrées.
Pire encore, ce chiffre marquerait une nouvelle dégradation par rapport à celui, déjà calamiteux, de 2023 (5,5 % du PIB) et constituerait un triste record historique hors pandémie. Nous étions déjà champions des prélèvements obligatoires et de la dépense publique, au sein de l’OCDE ; nous pourrions dorénavant l’être aussi en matière de déficit.
Des choix de présentation critiquables
Il est de convention, lors de la présentation des projets de loi de finance, de chiffrer l’impact attendu des différentes mesures sur le futur exercice (2025) en prenant comme point de référence l’atterrissage de l’exercice en cours (2024).
Michel Barnier a fait le choix de rompre avec cette convention. L’étalon de mesure n’est plus la situation budgétaire de l’année précédente mais un scénario “contrefactuel”, c’est à dire le budget 2025 d’un monde parallèle en inertie, tel qu’il ressort des tableurs de Bercy.
Le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) s’étonne de ce choix qui perturbe considérablement la lecture et introduit un élément de subjectivité (construction du scénario contrefactuel). Du fait de l’inflation, un tel choix tend aussi à majorer les effets affichés de maîtrise des dépenses et à minorer le poids des efforts fiscaux.
Ainsi, selon le chiffrage du HCFP, la potion partout présentée comme 40 Md€ de réduction de la dépense publique + 20 Md€ d’effort fiscal, devient, une fois ramenée au référentiel 2024, 12 Md€ de modération de la dépense publique + 30 Md€ de hausse des prélèvements.
Fiscalité des entreprises
Les grandes entreprises sont les premières visées par le tour de vis fiscal.
Elles auront tout d’abord à subir un relèvement de l’impôt sur les sociétés qui constitue, de facto, une marche arrière toute sur la baisse du taux de l’impôt intervenue entre 2017 et 2022. Ce taux repasse ainsi à 30,15 % à partir de 1 Md€ de chiffre d’affaires, et à 35,3 % à partir de 3 Md€. Tout en présentant cette mesure comme temporaire sur seulement deux exercices, Bercy fait usage de son privilège de rétroactivité de la loi fiscale pour l’appliquer sur l’ensemble de l’exercice 2024.
Précisons en outre que cet impôt ne s’appliquant qu’à la part des bénéfices réalisés en France, les grands groupes multinationaux seront peu affectés et pourraient même arbitrer leurs activités en conséquence.
La suppression de la CVAE (Contribution sur la Valeur Ajoutée des Entreprises), introduite en 2010 et dont la supression avait été annoncée pour 2024, puis reportée à 2027, est maintenant repoussée à 2030.
Une taxe de 8 % est introduite sur les rachats d’actions, présentés tel un fléau du capitalisme débridé. On passe bien sûr sous silence le fait que les capitaux dont il est question ont déjà subi tous les échelons de taxation, de la TVA jusqu’à l’impôt sur les sociétés, et que le rachat d’actions lui-même donnera lieu, le cas échéant, à l’imposition de la plus-value réalisée par l’investisseur. Cette taxe est la marque de la profonde inculture financière de notre administration, permise par celle de nos gouvernants et de l’électorat.
Nous continuons de soutenir ici que les rachats d’actions - opérés par des entreprises qui ne disposent plus d’opportunités d’investissement offrant des rendements supérieurs au coût de leur capital - participent à l’optimisation de l’allocation des ressources au sein de l’économie, et donc à son potentiel de croissance. Au demeurant, dans un environnement dynamique où les comportements s’adaptent à la politique fiscale, les entreprises choisiront de distribuer leurs excédents de capitaux sous forme de dividendes, rendant l’assiette d’une telle taxe virtuellement nulle.
Impôt sur le revenu
Le gel du barême de l’impôt sur le revenu - scénario un temps relayé par la presse - n’a finalement pas été retenu. Tous les seuils d’imposition seront relevés de 2 %, en ligne avec l’hypothèse d’inflation 2025.
Dissipons toutefois une interprétation erronée. Cela ne signifie pas que votre impôt restera stable si votre revenu suit l’inflation : dans un tel scénario, il augmentera lui aussi de 2 % en euros courants.
La CEHR (Contribution Exceptionnelle sur les Hauts Revenus), introduite en 2011 et touchant les revenus supérieurs à 250 k€ par part fiscale, fera l’objet pendant 3 ans (2024-2026) d’un mécanisme plancher assurant que l’impôt sur le revenu moyen des contribuables en question ne puisse être inférieur à 20 %, hors prélèvements sociaux. Compte tenu de la progressivité de l’impôt sur les revenus du travail, cette mesure ne touche en réalité que les revenus du capital. Elle s’apparente, de facto, à un relèvement de la flat tax de 30 % à 37 % pour les contribuables concernés.
Compte tenu de la mobilité du capital des ménages concernés, il y a fort à parier que le rendement marginal d’un tel dispositif sera négligeable, voire négatif, une fois pris en compte les coûts de son administration.
Au nom du père, du fils et de l’environnement
Les malus écologiques applicables aux véhicules neufs seront progressivement relevés. Le malus applicable à une Dacia Sandero - véhicule le plus vendu en Europe - passerait ainsi de 4.233 € aujourd’hui à 11.036 € en 2027 (modèle TCE 90 CVT) :
taxe sur la consommation de CO2 par km (140 g/km) : 4.026 € en 2027 contre 983 € en 2024
taxe sur la puissance fiscale (5 CV) : 6.000 € en 2027 contre 3.250 € en 2024
taxe sur le poids du véhicule (1.601 kg) : 1.010 € en 2027, inexistant en 2024.
Au même chapitre intitulé “Poursuivre la transition écologique”, on nous annonce le retour de taxes (accises) sur une électricité pourtant à 90 % décarbonnée, certes conditionnées à la baisse globale des tarifs. À mots couverts, il nous est demandé de rembourser les conséquences des boucliers tarifaires, catastrophiques pour les finances publiques, mis en place pour amortir les effets conjugués de la flambée des prix du gaz consécutive à la guerre en Ukraine et des mécanismes absurdes de l’ARENH et du marché européen de l’électricité, ayant contribué à créer des rentes colossales pour les distributeurs privés.
Les énergies fossiles représentent moins de 7 % de notre production électrique. Le contribuable français ayant financé seul le développement du parc nucléaire, la facture qui nous est aujourd’hui présentée au nom des mécanismes européens n’est pas justifiable.
Le logement, mi-figue, mi-raisin
Après un mea culpa d’outre-tombe de Bruno Le Maire au terme de 7 années de politique du logement à contre-emploi, Michel Barnier a d’emblée annoncé qu’il redonnerait à ce sujet un caractère prioritaire.
Il est ainsi proposé, après un rétrécissement drastique des conditions d’éligibilité du Prêt à Taux Zéro (47.000 dossiers en 2023 contre 123.000 en 2017), de réouvrir ce produit d’accompagnement des primo-accédants à l’ensemble du territoire. Le sort de la maison individuelle, exclue de l’éligibilité au PTZ en 2023 alors qu’elle en représentait la moitié des dossiers, n’est cependant pas précisé à ce stade.
Par ailleurs, les amortissements fiscaux permis dans le cadre des locations meublées seront dorénavant pris en compte dans le calcul de la plus-value fiscalisable à la revente du bien. On peut considérer qu’il s’agit là de la correction d’une anomalie qui avait sans doute échappé au législateur. Il est néanmoins regrettable qu’une telle correction soit applicable aux investissements déjà réalisés. Le caractère rétroactif d’une telle mesure entretient la défiance des investisseurs vis-à-vis de dispositifs fiscaux supposés encourager l’investissement, susceptibles d’être revisités à chaque changement de gouvernement.
Dépense publique : refus d’obstacle
Ayant atteint 56 % du PIB, la dépense publique devrait nous préocupper au plus haut point. Pour autant, le projet de loi de finance 2025 s’inscrit dans une tradition bien ancrée de lâcheté de l’action politique.
La cure d’amaigrissement annoncée, même parfaitement exécutée (ce qui n’arrive jamais), ne se traduirait en 2025 que par une réduction de 2.200 postes en équivalent temps plein sur le périmètre de l’État et de ses opérateurs (hors sécurité sociale et collectivités territoriales), soit tout juste 0,1 % de l’effectif total. La timidité de cet effort contraste avec la gravité de notre situation financière et ferait bondir n’importe quel chef d’entreprise ayant été confronté à la nécessité d’une restructuration.
Sur les seules fonctions centrales de l’État (hors sécurité sociale et collectivités territoriales), nous continuons d’employer plus de 2,4 millions de fonctionnaires, dont 114.100 au budget et aux comptes publics, 76.200 au travail et à l’emploi, 43.800 à l’agriculture, à l’alimentation et aux forêts, 40.800 aux partenariats avec les territoires (y.c. DOM) et à la décentralisation, 19.700 à l’écologie, au développement et à la mobilité durable et 11.400 au service du premier ministre et de la coordination du travail gouvernemental.
Retraites : pas vu pas pris
Les travaux de l’Institut Molinari ont montré comment les pouvoirs publics tentaient de masquer la dérive des régimes de retraite par répartition de la fonction publique par une augmentation insensée des taux de cotisation, eux-mêmes intégralement à la charge de l’État.
Le budget 2025 poursuit dans cette voie. Comble du cynisme, le dossier de présentation de la loi de finance s’enorgeuillit du rétablissement possible du solde des régimes de retraite de la fonction publique, résultant d’une nouvelle augmentation de 4 points des taux de cotisation intégralement supportée par les deniers publics. Poche droite, poche gauche. Pas vu, pas pris. Mais toujours plus d’impôts et de déficits.
Nous restons convaincus que l’on ne peut sortir par le haut de cette équation paramétrique triplement perdante (retraités / cotisants / contribuables) qu’en introduisant progressivement une dose de retraite collective par capitalisation. Une telle transition exigera beaucoup de pédagogie et de courage politique, ressources rares par les temps qui courent.
Hormis l’artifice du décalage de six mois de l’indexation des retraites, la question des prestations sociales, facteur essentiel dans la formation du déficit public, est absente de ce projet de loi de finances. Laissées à leur inertie naturelle, celles-ci progresseront de 2,8 % en 2025, soit 16 Md€.