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Retraites : un poids exorbitant pour l'économie française

Les constats du Conseil d’orientation des retraites

Le Conseil d’orientation des retraites (COR) a publié il y a quelques semaines son rapport annuel. Il en ressort un solde globalement positif des régimes de retraites de 3,8 Md€ pour l’année 2023, masquant un déficit de 4,6 Md€ des régimes des fonctions publiques d’État et des collectivités territoriales, ainsi que des autres régimes spéciaux (notamment SNCF et RATP), compensé par les excédents des régimes du secteur privé et des indépendants.

Les pensions servies par ces différents régimes se sont montées en 2023 à 380 Md€, soit 13,4 % du PIB : un chiffre qui n’est dépassé, au sein de l’OCDE, que par l’Italie.

Le COR se livre aussi à un exercice prévisionnel selon lequel, en dépit de la réforme de 2023, le solde global des systèmes de retraites deviendrait négatif en 2024 (-6,1 Md€) puis, en l’absence de nouvelles réformes, continuerait de se dégrader pour atteindre -0,8 % du PIB à l’horizon 2050.

À toutes fins utiles, rappelons que d’une façon ou d’une autre - subvention d’équilibre ou simple principe de consolidation - de tels déficits “ruissellent” dans nos finances publiques.

Beaucoup de bruit pour rien ?

Une lecture cursive du rapport du COR laisse le goût d’un constat relativement bénin. Tout cela pour ça ? Much ado about nothing ?

Il convient tout d’abord de noter que les prévisions du COR se fondent sur l’hypothèse d’une érosion progressive des pensions de retraite relativement aux salaires : le niveau de vie moyen des retraités passerait ainsi de 99 % de celui des actifs actuellement à 83 % en 2070.

En outre, les projections du COR sont, sur le long terme, lourdement dépendantes de la démographie et, en particulier, du taux de fécondité. Le COR retient une hypothèse de travail de 1,8 enfants par femme en dépit du fait que le taux de fécondité, actuellement à 1,68, est en baisse structurelle. À cet égard, l’étude de sensibilité du COR montre qu’avec un taux de fécondité réduit à 1,6 enfants par femme, le déficit des régimes de retraite pourrait atteindre 1,5 % du PIB à l’horizon 2070.

On peut par ailleurs s’étonner du caractère résolument optimiste des hypothèses macro-économiques de long terme retenues par le COR telles qu’un taux de chômage de 5 % (vs 7,4 % actuellement) ou des gains de productivité du travail de 1 % par an (vs une stagnation observée depuis 2011).

Mais le pire n’est pas là…

L’éléphant dans la pièce

Les travaux de l’Institut économique Molinari montrent en effet que les régimes de la fonction publique (au sens large, fonction publique d’État, des collectivés territoriales et autres régimes spéciaux) ne parviennent à s’approcher de l’équilibre qu’au prix de cotisations démesurées.

Les taux de cotisation s‘élèvent ainsi à 85 % pour les fonctionnaires d’État (hors militaires), à 137 % pour les militaires et à 42 % pour les collectivités territoriales et hopitaux, à comparer à 28 % pour les salariés des régimes privés. Selon l’Institut Molinari, cette surcharge, assumée par les finances publiques, se monte à 56 Md€ sur l’exercice 2023, soit 36 % du déficit public français de 154 Md€ tel que défini par l’Union Européenne.

Cette situation s’explique par la conjonction d’un choix structurel - la retraite par répartition - et de ratios cotisants / retraités défavorables, inférieurs à 1 dans l’ensemble de la fonction publique.

Le COR lui-même l’admet à demi-mots : « l’évolution de ces dépenses explique à elle-seule une grande partie de la progression des dépenses publiques depuis 2002 ». Selon le chiffrage de l’Institut Molinari, les surcotisations prises en charge par les finances publiques, ajoutées aux déficits de ces régimes, se montent à 1.006 Md€ depuis 2002, expliquant presque la moitié de l’accroissement de la dette publique depuis cette date.

Et notons bien qu’il ne s’agit là que du bilan des soldes passés. La comptabilité publique française n’intègre pas la reconnaissance des engagements de retraites à venir (hors bilan). Si ceux-ci étaient comptabilisés, le passif public français rapporté au PIB serait, selon certaines études, supérieur à celui des États-Unis.

Effets secondaires

Cette charge colossale est la source d’une spirale infernale au cœur de la société française :

  • des fonctionnaires aux rémunérations perçues souvent faibles mais dont le coût complet après cotisations sociales est supérieur à celui des salariés du secteur privé (5.990 € vs 4.630 € selon l’Institut Molinari sur la base des données Insee 2020)…

  • entraînant un déficit public croissant…

  • et, par des effets de gestion réactive, une dégradation progressive des services publics.

Mutualisation et répartition : méli-mélo

Le système de retraite par répartition, mis en place au sortir de la seconde guerre mondiale, nous est communément présenté comme un pilier sacro-saint de la solidarité nationale.

Cette idée procède de l’amalgame entre deux notions pourtant disjointes :

  • D’une part, le principe de mutualisation qui permet, sans transferts générationnels et dans une simple logique assurantielle, aux retraités aux durées de vie les plus longues de bénéficier indirectement des cotisations de ceux qui sont décédés plus tôt. Cette mutualisation s’opère au détriment des descendants des cotisants décédés le plus tôt mais constitue un choix de société tout à fait défendable.

  • D’autre part, le principe de répartition à proprement parler par lequel les cotisations des nouveaux entrants sont intégralement affectées au service des pensions versées aux générations sortant du marché du travail. Ce choix, opéré à l’aube du baby boom, a longtemps permis d’offrir un âge de retraite et des niveaux de pension artificiellement favorables, notamment dans le secteur public, mis au débit des générations futures.

Face à l’inflexion démographique qui touche la France comme tous les pays développés, le système de retraite par répartition ne pourra se maintenir qu’au prix de réformes paramétriques visant à relever les niveaux de cotisation (au détriment de la compétitivité de l’économie et des finances publiques), geler ou réduire les pensions, et allonger les durées de cotisations.

Pourtant, une autre voie est possible.

Plaidoyer pour un régime de retraite collectif par capitalisation

Outre des transferts inter-générationnels que l’on peut juger infondés sur le plan de l’équité, le principe de répartition, lorsqu’on l’isole du principe de mutualisation, prive également les assurés de la sur-performance que des investissements de long terme peuvent générer.

Une étude des Échos évalue à 3,4 % la surperformance du marché actions français par rapport à l’inflation depuis 1900.

De façon conservatrice, réduisons cette sur-performance à seulement 2 %, pour tenir compte des frais de gestion et de la part d’investissements plus sécurisés (obligataire) et prenons un jeune diplômé qui débuterait à 25 ans avec un salaire brut de 30.000 € et un taux de cotisation de 28 % (niveau actuel des cotisations du secteur privé). Supposons que sa progression salariale soit supérieure de 2 % à l’inflation jusqu’à ses 35 ans, puis de 1 % jusqu’à ses 45 ans, et conforme à l’inflation au-delà.

Dans un système par répartition, notre jeune diplômé devenu 40 ans plus tard jeune retraité aura cotisé un total de 436.600 € corrigés de l’inflation, et, dans un monde parfaitement stabilisé (démographie et mortalité), pourra espérer toucher des pensions pour un montant équivalent (toujours corrigé de l’inflation et en ignorant les effets de mutualisation) dans les années qu’il lui reste.

Si ces mêmes cotisations avaient été placées, dans le cadre d’un système de retraite par capitalisation, avec une sur-performance de 2 % par rapport à l’inflation, la somme accumulée se serait montée à 695.000 €.

En d’autres termes, le taux de cotisation de 28 % pourrait être réduit à 18 % pour bénéficier au final de la même pension, améliorant d’autant la compétitivité de l’économie et/ou le pouvoir d’achat (selon la répartition entre cotisations employeur/employé).

Difficile transition

Par vents démographiques contraires, basculer d’un système de retraite collective par répartition vers un système de retraite collective par capitalisation n’est pas chose aisée.

Il suffirait, sur le papier, d’introduire une dose de capitalisation de façon progressive tout en acceptant de financer le biseau des pensions par répartition sur les deniers publics. Tant que l’État français peut se financer en-dessous du rendement de long terme des marchés actions, le raisonnement se tient.

Malheureusement, les horizons électoraux qui guident la plupart de nos représentants politiques supportent difficilement des raisonnements à 40 ans. Et le fait que la retraite par répartition soit un totem gaulliste n’arrange rien…

L’objectif n’est pourtant pas d’enrichir BlackRock. Notre pays dispose d’acteurs majeurs de l’asset management, du private equity et de l’épargne salariale parfaitement capables d’appuyer une telle transition. Un cadre réglementaire et fiscal pourrait être mis en place pour flécher prioritairement les capitaux ainsi déployés vers les entreprises françaises ou européennes.

Dans l’attente d’un gouvernement providentiel capable de proposer et d’implémenter une telle réforme, nous réitérons notre conseil : tout au long de la vie active et le plus régulièrement possible, investir 10 % de ses revenus pour préparer sa retraite par ses propres moyens.

Sources et bibliographie