Finances publiques, etc.

Voyage en absurdie

L’officialisation d’un déficit public abyssal

C’était un secret de Polichinelle. L’Insee l’a confirmé le 27 mars : le déficit public de la France s’est monté en 2023 à 5,5 % du Produit Intérieur Brut. Selon toute vraisemblance, seule l’Italie fera pire au sein de la zone Euro.

Jeux Olympiques de la fiscalité

Les politiques de tous bords n’auront pas pu contenir leur impatience et, sous la bannière du “pas de dogme !”, se sont bousculés pour lancer avant même l’annonce de ces chiffres le concours du nouvel impôt. Un sport collectif dans lequel l’équipe de France est imbattable.

Parmi les innombrables contributions, on nous propose par exemple une taxe sur les rachats d’actions (les profits recyclés pour permettre de telles opérations ne sont-ils pas déjà soumis à l’impôt sur les sociétés puis, en cas de plus-value de cession pour l’actionnaire, à la “flat tax” ?), la remise en cause de la suppression de la Contribution sur la Valeur Ajoutée des Entreprises (engagement de campagne du candidat Macron 2017) ou encore le gel du barème de l’impôt sur le revenu (en environnement inflationniste, autant dire une hausse d’impôt).

D’autres suggèrent de supprimer/raboter des dépenses fiscales telles que le Crédit d’Impôt Recherche (CIR). À l’heure de l’intelligence artificielle, alors que les investissements en R&D ne se montent en France qu’à 2,2 % du PIB contre une moyenne européenne à 2,7 %, les États-Unis à 3,5 %, la Corée du Sud à 4,9 % et Israël à 5,6 %, il fallait y penser.

Hors sujet

Nous ne défendons pas ici l’idée que l’impôt en France, sous ses mille et une formes, ait atteint un degré de perfection qui interdise d’y retoucher. Mais le faire dans l’objectif de rehausser la pression fiscale alors que celle-ci, ramenée au Produit Intérieur Brut, est la plus élevée de l’OCDE, relève de la pulsion de mort économique.

Avant de lancer un tel concours, il convient de s’interroger quant aux causes de ce dérapage budgétaire. Les narratifs officiels ne résistent pas à l’examen.

Selon Matignon, la détérioration de nos finances publiques est le prix du choix assumé d’avoir protégé les Français pendant la pandémie. Un tel facteur peut certes expliquer partiellement l’augmentation de la dette publique sur longue période mais en aucun cas le fait que la France soit le dernier pays de la zone Euro, avec l’Italie, à ne pas avoir redressé sa situation budgétaire depuis la fin de la pandémie.

Selon Bercy, le dérapage est imputable à une baisse soudaine des rentrées fiscales, causée par le recul de l’inflation, qui ne serait devenue apparente qu’en toute fin d’année. Pourtant, le recul des recettes n’explique que 8 Md€ d’une détérioration du déficit qui se monte à 22 Md€, hors collectivités locales et sécurité sociale. Celui-ci était en outre parfaitement apparent dans les situations mensuelles de l’État publiées par Bercy tout au long de l’année, sur la base desquelles nous avions tenté d’alerter :

Loin des narratifs officiels, les causes principales de la détérioration de nos finances publiques sont ailleurs.

L’inanité de notre politique énergétique, tout d’abord. Le dispositif de l’ARENH mis en place en 2010 et renforcé depuis, combiné au défaut d’investissement dans notre parc nucléaire, condamne EDF à vendre 40 % de sa production électrique à des acteurs privés à un prix 8 fois inférieur à celui du marché. Cette électricité est ensuite revendue au prix fort, au bénéfice de rentes privées largement soutenues par nos finances publiques via les mécanismes de bouclier énergétique. Le coût de cette ingénierie se monte selon l’Insee à plus de 24 Md€ pour l’année 2023. Il conviendrait d’y ajouter les 5 Md€ engloutis dans la renationalisation d’EDF ainsi mise à genoux (qui ne sont pas comptabilisés dans la définition maastrichtienne du déficit).

Vient ensuite l’absence de maîtrise des effectifs de la fonction publique. Le chiffre de 58.700 fonctionnaires supplémentaires rapporté par l’Insee pour 2023 est un record décennal, très loin de la suppression de 120.000 postes qui figurait au programme de campagne 2017. Il n’est malheureusement pas possible, à ce stade, de connaître la nature des postes ainsi créés. Toujours est-il que ces choix, couplés aux mesures de revalorisation du point d’indice (+3,5 % en juillet 2022, +1,5 % en juillet 2023), se traduisent par une augmentation de 15 Md€ (+4,6 %) de la masse salariale de l’État sur l’exercice 2023.

La baisse des recettes fiscales, quant à elle, si elle existe bel et bien, est avant tout imputable à une crise du logement et de l’accès au crédit que la Banque de France et le gouvernement ont regardé se former les bras croisés. Nous attendrons avec intérêt la publication dans quelques mois du Compte du logement 2023 pour le confirmer mais pouvons d’ores et déjà estimer, par la simple application de la règle de trois, que l’effondrement de la commercialisation de logements neufs et le ralentissement des volumes de transactions auront causé un manque à gagner de TVA et de droits de mutation d’au moins 7 Md€. Et les mauvais calculs de Bercy consistant à éteindre ou limiter des dispositifs qui étaient contributeurs nets aux finances publiques (Pinel, Prêt à Taux Zéro) n’arrangeront rien à l’affaire.

Enfin, comment ne pas pointer l’incurie de la gestion de la dette publique ? Le choix de continuer à émettre des obligations indexées sur l’inflation depuis 2015, à une époque où l’État était en mesure de se financer à taux fixe en dessous de 1 %, nous vaut une charge d’indexation de 16 Md€ sur l’exercice 2023.

Un pansement sur une jambe de bois

Face à l’urgence de la situation et la menace d’une dégradation de la note de la dette souveraine française, Bruno Le Maire a pris des airs de Javier Milei pour annoncer qu’il avait décidé d’imposer 10 Md€ d’économies immédiates. Quand on se plonge dans les chiffres, on réalise cependant que les dites “économies” ne sont en réalité qu’une toute relative modération de la hausse de 50 Md€ des dépenses publiques prévues dans la loi de finances 2024.

À cet égard, le feuilleton du budget affecté au dispositif Ma Prime Rénov est emblématique. Après avoir annoncé en octobre dernier sur tous les plateaux TV un effort historique de 1,6 Md€ supplémentaires pour financer la rénovation énergétique, on présente quatre mois plus tard la réduction de ce chiffre d’1 Md€ comme l’économie qui permettra de redresser la nation.

Le vrai dogme français : toujours plus d’État

Le vrai dogme français n’est pas celui du gel de la pression fiscale mais bien celui du toujours plus d’État. C’est une curiosité nationale que l’alternance politique, dans notre pays, ne produise qu’encore et toujours plus d’État, plus de normes et de complexité inutile, dans tous les domaines.

Si nos services publics essentiels (santé, éducation, sécurité) étaient encore l’envie du reste du monde, il serait possible de défendre la spécificité du modèle français. Malheureusement ce n’est plus le cas. Et c’est vraisemblablement parce que l’État prétend régenter les détails les plus ridicules de nos activités qu’il ne sait plus accomplir correctement ses missions régaliennes. Recruter toujours plus de fonctionnaires pour étouffer les problèmes ne résout rien.

Seul un travail titanesque de simplification permettra de restaurer la compétitivité de notre économie et de remettre nos finances publiques à flot. Que l’on nous débarrasse des échelons administratifs redondants comme des Hauts Conseils et autres commissions théodules dont la seule activité est de s’inventer des missions. Que l’on nous épargne les dispositifs ubuesques visant à subventionner de quelques euros la réparation d’une braguette ou d’un grille-pain. Que l’on en finisse avec la surtransposition des directives européennes et l’inflation normative. Laissez-nous vivre, ce sera un bon début.

Vous avez apprécié cet article ? Abonnez-vous à notre newsletter gratuite !

Sources