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50 nuances d'impôts
Décodage des travaux de la Commission des finances
La semaine dernière, le gouvernement présentait un projet de loi de finances 2025 composé de 30 Md€ de hausses d’impôts et de 12 Md€ de réduction de la dépense publique (relativement au PIB, tel que mesuré par le Haut Conseil des finances publiques). Nous critiquions ce budget placebo dans nos colonnes.
Cette semaine, il revenait à la Commission des finances de l’Assemblée nationale de préparer le débat parlementaire en se prononçant sur les 1.900 amendements déposés par les différents groupes sur la première partie de la loi de finances, relative aux recettes. C’est chose faite au terme de 36 heures de séances publiques.
Les amendements retenus restent bien entendu soumis au vote en Assemblée plénière, puis au possible usage de l’article 49.3 par le gouvernement. Leur impact n’étant pas systématiquement chiffré, il n’est malheureusement pas possible de donner une vision consolidée précise de ce que serait le nouveau budget 2025 s’ils devaient être adoptés. Plusieurs chefs de groupes, lors de leurs interventions en conclusion des travaux de la Commission des finances, estimaient la hausse de la pression fiscale résultant de ces amendements entre 40 et 60 Md€. Nous vous en livrons ici les grandes lignes ainsi que nos observations quant aux dynamiques politiques qui se sont dessinées au fil des discussions.
Durcissement considérable de la fiscalité des entreprises
Le premier fait marquant est la volonté unanime du bloc Nouveau Front Populaire (NFP), souvent rejoint par le Rassemblement National (RN) mais parfois aussi par l’aile gauche du bloc central, de rehausser la pression fiscale pesant sur les entreprises.
Alors que le projet mis sur la table par le gouvernement prévoyait déjà le relèvement du taux de l’impôt sur les sociétés (IS) de 25% à 30,15 % à partir d’1 Md€ de chiffre d’affaires et à 35,3 % à partir de 3 Md€, plusieurs amendements viennent alourdir l’addition :
Une majoration du taux de l’IS en cas de “super-profits” (résultats supérieurs d’au moins 25 % à leur moyenne 2017-2019) d’un facteur pouvant aller de 1,20x à 1,33x. Le taux de l’IS pourra ainsi être porté, au maximum, à 47 %.
Pour les multinationales, la création d’un IS minimal universel (taxe Zucman) de 25 % de leur résultat mondial ramené à la quote-part de chiffre d’affaires réalisé en France. Un tel impôt finira de convaincre des groupes qui n’ont en France qu’une activité marginalement rentable de fermer boutique.
La fin du régime dit “mère-fille” hors Union européenne qui permettait qu’au sein d’un groupe, les dividendes remontés en France de filiales étrangères ne soient fiscalisés que pour 5 % de leur assiette, ayant déjà subi l’IS du pays d’origine. À n’en pas douter, les groupes concernés adapteront leur politique afin de ne plus remonter de dividendes provenant de telles filiales.
La baisse du taux de l’IS de 33 % à 25 % s’était pourtant traduite, entre 2018 et 2023, par un doublement du produit de cet impôt, démontrant de façon irréfutable le rendement marginal négatif de l’impôt à ces niveaux de taux. De telles mesures ne peuvent s’expliquer que par des partis pris idéologiques qui ne feront qu’aggraver la situation de nos finances publiques.
Notons toutefois que les plus petites entreprises ne sont pas touchées et bénéficient même d’un relèvement du plafond du taux d’IS réduit de 42.500 € à 60.000 € (qui n’avait pas évolué depuis 2002).
Par ailleurs, les conditions d’éligibilité au Crédit Impôt Recherche sont resserrées, avec l’exclusion des dépenses de veille technologique et de dépôt de brevets, ainsi que de l’ensemble du secteur des banques et des assurances.
Enfin, le taux de la taxe sur les transactions financières qui touchent les banques et autres acteurs de l’écosystème financier serait doublée, et son assiette élargie à de nouvelles typologies d’opérations.
Le projet du gouvernement prévoyait une taxe de 8 % sur les rachats d’actions. Un amendement porté par le RN a relevé ce taux à 30 %, au motif que ces opérations échapperaient à la flat tax.
Le débat autour de cet amendement montre une incompréhension totale de l’ensemble des députés quant aux mécanismes d’un rachat d’actions. Une telle opération implique, en face de l’entreprise qui rachète, un investisseur qui accepte de vendre ses titres. Si cet investisseur est résident fiscal français et qu’il réalise une plus-value à l’occasion de cette opération, celle-ci est fiscalisée comme pour n’importe quelle autre cession.
Rappelons, par ailleurs, que la trésorerie mobilisée par l’entreprise pour racheter ses propres actions ne tombe pas du ciel et a déjà subi, en amont, toutes les étapes fiscales liées à la création de valeur par l’entreprise.
Taxation des revenus du capital et du patrimoine : même topo
La copie gouvernementale prévoit l’introduction d’un taux plancher sur la Contribution Exceptionnelle sur les Hauts Revenus (CEHR), assurant que le taux moyen effectif d’impôt sur le revenu (IR) des ménages dont les revenus dépassent 250.000 € par part ne soit pas inférieur à 20 %. La Commission des finances a choisi de pérenniser ce dispositif que le gouvernement présentait comme temporaire (2024-26).
Il est important de comprendre que ce mécanisme ne touche pas les personnes qui tirent l’essentiel de leurs revenus du travail, ceux-ci étant déjà fiscalisés à un taux moyen supérieur à 20 %. Ainsi, seuls les contribuables dont les revenus proviennent essentiellement du capital (intérêts, dividendes, plus-values) seront affectés. Pour ceux-ci, la mesure s’apparente, de facto, à un relèvement de la flat tax (dont la composante d’IR n’est que de 12,8 %). Selon le chiffrage du gouvernement, seuls 24.300 foyers seraient concernés pour un produit attendu de 2 Md€ dont les détails n’ont pas été fournis. Si l’on en croit ces chiffres, l’impact serait ainsi supérieur à 80.000 € par ménage touché, ce qui ne manquerait pas d’engendrer des comportements d’évitement réduisant le rendement d’un tel impôt.
Certains groupes étaient partisans, en lieu et place de ce dispositif peu lisible et lourd à administrer, de relever simplement le taux de la flat tax. Par le jeu de la surenchère visant à décrocher le prix du groupe qui tape le plus fort sur les “ultra-riches”, nous aurons finalement les deux ! Le taux de la flat tax - qui est due dès le premier euro sur les intérêts de produits aussi basiques que l’épargne-logement - serait ainsi relevé de 30 % à 33 %. Et ce taux sera encore majoré de 5 points pour les dividendes provenant de sociétés les ayant augmentés de plus de 20 % par rapport à la moyenne des 5 années précédentes.
Tout est bon à prendre pour faire face aux ultra-riches
Et si certains devaient céder à la tentation de l’exil fiscal, la Commission des finances a pensé à eux. L’exit tax fait ainsi son retour en dépit d’un rendement si faible qu’il était jugé inférieur à son coût d’administration et avait conduit à sa suppression. En outre, en cas d’expatriation vers un pays dont la fiscalité est jugée inférieure d’au moins 50 % à la nôtre (selon des critères de mesure qui ne sont pas précisés), les ménages concernés devront s’acquitter d’un impôt universel différentiel pendant les 10 années suivant leur départ.
La Commission a adopté une batterie d’autres amendements visant les patrimoines importants, parmi lesquels nous retiendrons :
Le relèvement des droits de succession applicables à l’assurance-vie, au-delà de l’abattement de 152.500 € par bénéficiaire, pour les aligner sur le régime de droit commun.
La baisse des droits de mutation sur les donations aux enfants du conjoint (familles recomposées), financée par la création d’une tranche marginale supplémentaire sur les successions les plus importantes.
Le recentrage du régime du “pacte Dutreil” sur les seuls biens professionnels (fini le yacht détenu par l’entreprise).
Les nombreuses propositions de retour de l’impôt sur la fortune se sont faite concurrence au point qu’aucune n’ait réussi à réunir de majorité. Néanmoins, les débats ont montré un début de convergence NFP - RN sur le sujet et il ne serait pas surprenant que le sujet revienne en Assemblée plénière.
Annulation des mesures fiscales touchant les classes populaires
Deux mesures phares du projet de loi de finances ont été retoquées en Commission des finances.
Tout d’abord, la réintroduction de la taxe sur l’électricité qui avait été neutralisée dans le cadre du bouclier tarifaire, assortie de l’assurance qu’en dépit de celle-ci, le tarif réglementé de l’électricité baisserait d’au moins 9 % au 1er février 2025. Cette taxe est cyniquement présentée au chapitre “Poursuivre la transition écologique” alors que l’électricité française est à 90 % décarbonée et que les pouvoirs publics n’ont de cesse d’encourager l’électrification des usages. Rappelons qu’au travers du mécanisme mal pensé de l’ARENH - qui reste en vigueur jusqu’à fin 2025 - l’État a bradé le bénéfice des investissements publics dans l’énergie nucléaire au profit de distributeurs privés qui n’ont pas tenu leurs engagements de développement de capacités de production propres. Il n’est pas tolérable, alors que cette hérésie perdure, de continuer à faire les poches du contribuables. Pour mémoire, l’incurie de la gestion des mécanismes de fixation des prix de l’énergie est, selon nos estimations, la deuxième principale cause de dégradation de nos finances publiques derrière la dérive des régimes de retraite de la fonction publique.
La Commission des finances a également écarté la mesure de radicalisation des malus automobiles qui, d’ici à 2027, aurait imposé un malus à 80 % des véhicules actuellement commercialisés. Une modeste Dacia Sandero essence - véhicule le plus commercialisé en Europe - aurait eu à subir un malus de plus de 11.000 €. Outre le fait que l’impératif d’électrification est contestable pour des usages extra-urbains, tant sur le plan énergétique qu’écologique, fiscaliser les moyens de mobilité d’entrée de gamme dans de telles proportions serait un facteur de déstabilisation majeur pour notre société.
Copie brouillonne pour le logement
Au jeu des alliances de circonstances, les mesures relatives au secteur du logement, qui traverse la crise la plus sévère qu’il ait connu depuis 30 ans, laissent songeur.
Le gouvernement avait d’ores et déjà annoncé la réintégration des amortissements des locations meublées dans les calculs de plus-values (correction d’une aberration législative) ainsi que l’extension du Prêt à Taux Zéro - dont les volumes sont passés de 123.000 dossiers en 2017 à 47.000 en 2023 - à l’ensemble du territoire, dans le neuf comme dans l’ancien, sans que ne soit précisé à ce stade le sort de la maison individuelle (rendue inéligible en 2023).
La Commission des finances y ajoute les mesures suivantes :
Les locations de meublés de tourisme seront assujetties à une TVA de 10 %.
La réintégration des amortissements dans le calcul de la plus-value ne touchera que les meublés touristiques (et pas les meublés en location de longue durée ou en résidences gérées).
L’éxonération de la plus-value de cession sur la résidences principale sera assortie d’une condition de durée de détention minimale de 5 ans, sauf cas de force majeure.
Afin de lutter contre la “rétention foncière”, les autres plus-values de cession (résidence secondaire, locatif) ne bénéficieront plus des abattements pour durée de détention et seront soumis à la flat tax.
À titre exceptionnel, jusqu’à fin 2025, les donations en ligne directe permettant l’acquisition d’un logement neuf seront exonérées de droits de mutation à concurrence de 150.000 € (en sus des 100.000 € tous les 15 ans, de droit commun).
Le taux d’abattement du régime micro-foncier nu est relevé de 30 % à 50 %.
Le taux d’abattement du régime micro-BIC des meublés de tourisme est abaissé à 30 % (sauf gîtes ruraux).
Les critères d’éligibilité au Bail Réel Solidaire sont assouplis en alignant les plafonds de revenus sur ceux des Locations à Loyer Intermédiaires.
L’exonération d’IS des bailleurs sociaux est désormais conditionnée à la construction de nouveaux logements.
Les plus-values de cession de terrains nus consécutives à un changement de classification (non-constructible vs. constructible) ou à des investissements publics d’infrastructures seraient assimilés à un “enrichissement sans cause” et soumis à une taxe de 70 %. Une telle mesure est emblématique de la politique en vigueur depuis 2010, ciblant l’immobilier comme vache à lait fiscale car incapable d’exil. Cette logique à la petite semaine est l’une des causes majeures du renchérissement des coûts de revient des logements neufs et de notre déficit structurel de logements.
Rejet de la proposition d’un statut du bailleur privé qui aurait permis de soumettre les revenus locatifs des logements neufs ou rénovés à loyers intermédiaires au régime de la flat tax.
Rejet de l’extension aux particuliers des avantages fiscaux liés aux locations à loyers intermédiaires (qui restent par conséquent réservés aux investisseurs institutionnels).
Rejet de l’exonération de droits de succession sur les logements neufs acquis en 2025.
Valse des taux de TVA
De nombreux amendements votés par la Commission des finances se traduisent par des modification de taux de TVA dont il est difficile d’estimer l’impact global :
Baisse à 5,5 % de la TVA sur les travaux de rénovation énergétique, les équipements photovoltaïques individuels ainsi que les réparations de textiles et d’électroménager.
Baisse à 5,5 % de la TVA sur la construction et les travaux relatifs aux logements sociaux (y.c. loyers intermédiaires).
Exonération de TVA pour les banques alimentaires et les frais véterinaires engagés par les associations de protection des animaux.
Exonération de TVA pour les produits de première nécessité en outre-mer, assortie de mécanismes de plafonnement des prix.
Relèvement de 10 % à 20 % de la TVA sur les sites à caractère ludique.
Suppresion du relèvement de TVA proposé par le gouvernement sur les chaudières à gaz individuelles.
Rejet des propositions du RN visant à baisser la TVA sur l’énergie et à la supprimer sur les produits de première nécessité.
Concours Lépine du nouvel impôt
Outre les mesures déjà citées, les débats de la Commission des finances ont donné lieu à un concours d’imagination de nouveaux impôts lors duquel nos députés ont fait preuve d’une énergie collective étonnante. Nous n’égrenerons pas ici les idées les plus rocambolesques auxquels nous avons échappé. Des majorités ont néanmoins été trouvées autours des innovations suivantes :
Une taxe kilométrique sur les produits importés (concept intéressant mais aisément détournable s’il n’est pas décliné à l’échelle de l’Union européenne)
Une taxe de 1€ par animal sujet à expérimentation : assurément palme d’or de la vertu inopérante.
La possibilité pour les régions de prélever un “versement mobilité” visant à financer leurs investissements en mobilités de substitution.
L’introduction d’une taxe sur les importations de bovins (hors Union européenne et accords de libre échange).
L’introduction de taxes sur les produits de vapotage et les sachets de nicotine (j’avoue ma surprise que de tels produits aient jusque là échappé aux fourches de Bercy).
Enfin, des taxes existantes seraient relevées de façon significative, au premier rang desquelles la taxe dite “GAFAM” qui passerait de 3 % à 5 %.
Dynamiques politiques
Pour qui prend la peine de les visionner (je l’ai fait pour vous), ces 4 jours de débats permettent de mieux comprendre les dynamiques politiques qui sont à l’œuvre :

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