Mission impossible

Bonjour,

Le projet de loi de finances 2026 proposé par Sébastien Lecornu sera officiellement dévoilé lors de sa présentation à l’Assemblée nationale, qui doit intervenir le 13 octobre au plus tard. Néanmoins, les grandes lignes du projet - actuellement examinées par le Haut Conseil des finances publiques - circulent de façon officieuse. Je vous en synthétise ci-dessous les points saillants :

  • Maintien de la surtaxe exceptionnelle sur les grandes entreprises (CA > 1 Md€) introduite l’an dernier, portant le taux de l’impôt sur les sociétés à 35 %. Par comparaison, la plupart des grands pays européens appliquent un taux maximal de 25 %, et l’Irlande de seulement 12,5 %. Ou comment finir de convaincre les entreprises qui produisent encore en France d’aller voir ailleurs.

  • Maintien de la contribution différentielle sur les hauts revenus (> 250 k€ par personne) instaurée l’an passé au taux de 20 %.

  • Possible durcissement de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus (> 250 k€ par personne) introduite en 2012, créant de facto deux dernières tranches d’impôt sur le revenu. L’ampleur de la hausse ferait encore l’objet de discussions avec le PS.

Ces trois premières mesures sont une énième démonstration du fait qu’au pays de Colbert, une nouvelle taxe n’est jamais temporaire. Les promesses n’engagent que les contribuables suffisamment naïfs pour les écouter. Poursuivons :

  • Introduction d’une taxe de 2 % sur le patrimoine financier des holdings. Il faut y voir une offrande sur l’autel de la taxe Zucman, excluant toutefois de son périmètre le patrimoine professionnel (actionnariat de contrôle dans des sociétés opérationnelles). Cette taxe n’en demeure pas moins inique, les dividendes remontés dans les holdings et autres produits financiers ayant déjà été taxés au titre de l’impôt sur les sociétés et restant par ailleurs soumis à la flat tax en cas de distribution à des personnes physiques. Combien de ponctions successives, au juste, faut-il supporter pour expier le péché de création de valeur ?

  • Relèvement de la flat tax à 33 %, voire 36 % (selon l’issue des discussions avec le PS). À ceux qui soutiennent que le capital est en France moins taxé que le travail, rappelons là aussi que les résultats distribués ont déjà subi tout le poids de la fiscalité des entreprises.

  • Baisse de l’impôt sur le revenu et/ou de la CSG pour les salariés proches du SMIC. À vouloir trop chasser les voix, nous continuons d’aggraver l’impasse démocratique par laquelle une majorité de foyers, non assujettis à l’impôt sur le revenu, considère qu’il est juste que leurs voisins minoritaires financent seuls la boulimie de dépense publique.

  • Année blanche : le gel toucherait la valeur du point dans la fonction publique ainsi que les pensions de retraite au-delà d’un certain seuil, non encore connu. En revanche, les autres prestations sociales, le SMIC et les barèmes fiscaux resteraient indexés sur l’inflation.

  • Meilleure prise en compte de la maternité dans le calcul des pensions.

  • Prolongation du dispositif d’exonération des heures supplémentaires et rétablissement de la prime de partage de valeur dite « Macron » (exonération des primes collectives jusqu’à un certain seuil).

Petit rappel utilement désagréable : la fiscalité est le seul domaine dans lequel la « petite rétroactivité » (au 1er janvier si la loi de finances est votée au plus tard le 31 décembre) est tolérée par le Conseil constitutionnel. Il y a donc fort à parier que certaines des mesures décrites trouveraient à s’appliquer au titre de l’année 2025.

Le 14 novembre, j’aurai le plaisir d’intervenir dans le cadre de la Paris Investor Week sur le sujet du projet de loi de finances 2026 d’une part, et de la préparation de la retraite d’autre part. Les abonnés MoneySmart Prime recevront prochainement une invitation gratuite. Venez nombreux !

En ouvrant le débat budgétaire, Sébastien Lecornu a pris l’engagement de ne pas recourir à l’article 49.3. En première lecture, cette déclaration semble simplement prendre acte de l’échec du coup de force tenté par Michel Barnier en décembre dernier.

Mais le sujet est en réalité plus complexe et, afin de l’expliquer, je vais recourir ici à un exercice de politique fiction. L’Assemblée nationale sera amenée à se prononcer, dans le cadre de cette loi de finances, sur chacun des articles et amendements proposés, pris individuellement. Nous avons pu voir l’an dernier comment, dans une Assemblée fragmentée, les coalitions les plus baroques se livraient à une inventivité fiscale totalement débridée, sans aucune cohérence d’ensemble… Sans le revolver du 49.3, les députés seront amenés à se prononcer, au terme de cet exercice d’intelligence collective, sur le projet de loi ainsi co-écrit, pris comme un tout.

Gageons que le bloc présidentiel, LR et le RN, bien qu’ayant vraisemblablement apporté des voix à certains amendements, rejetteraient au final un projet de loi aussi fiscalement punitif que celui qui s’était dessiné fin 2024. Le pays se retrouverait alors sans budget 2026. Dans un tel scénario, une jurisprudence du Conseil constitutionnel de 1979 autorise le gouvernement à continuer de percevoir l’impôt à modalités inchangées. En matière de dépenses, l’essentiel des budgets seraient alors figés, à l’exception notable de l’indexation des retraites, prévue de plein droit. Le point d’indice de la fonction publique, le SMIC et les barèmes fiscaux seraient, quant à eux, gelés. Une sorte de shutdown adouci, à la française.

Ainsi la main tendue de Sébastien Lecornu est une façon subtile de rappeler la gauche de gouvernement à ses responsabilités.

Après la dégradation de la note souveraine française par Fitch, différentes agences de notation ont relevé ces dernières semaines les notations respectives de l’Espagne (S&P, Moody’s, Fitch), du Portugal (Fitch) et de l’Italie (S&P), saluant leurs efforts en matière de finances publiques et de compétitivité.

En octroyant à la France une note qui demeure supérieure à celle de ses voisins latins, les agences de notation sont en décalage notable avec les marchés financiers. Les emprunts d’État français à 10 ans se traitent actuellement à des taux équivalents à ceux de l’Italie et sensiblement supérieurs à ceux de l’Espagne et du Portugal.

Je critiquais ici même, la semaine dernière, la politique économique de Donald Trump. Mais force est d’admettre que l’homme est un habile négociateur. Ayant dessiné les contours d’une paix Israël - Palestine qu’aucune des deux parties ne peut se permettre de rejeter, il semble en passe de réussir un coup diplomatique magistral. Si l’affaire n’est pas encore faite, saluons le fait que le Président américain fasse usage des atouts dans son jeu pour promouvoir une solution de paix durable.

Enfin, Séverine Piot-Deval synthétise pour vous l’actualité des marchés financiers :

En vous souhaitant un bon dimanche.