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Le rôle des collectivités territoriales dans le déficit public
Masques et faux semblants
Une sortie remarquée
Bruno Le Maire rendra vraisemblablement dans quelques jours les clés du ministère de l’Économie et des Finances qu’il occupait depuis 2017. Avant de céder la place, le ministre démissionnaire a adressé aux présidents et rapporteurs généraux des commissions des Finances de l’Assemblée nationale et du Sénat, ce 2 septembre, un courrier dans lequel il alerte sur le risque d’aggravation de la situation des finances publiques.
Selon Le Monde, cette missive s’accompagne de prévisions alarmantes du directeur général du Trésor montrant que le déficit public pourrait atteindre 5,6 % du PIB en 2024 (contre un budget à 5,1 %) et continuer de s’écarter de la trajectoire officielle pour approcher 7 % du PIB en 2027.
Bien que ce courrier n’ait pas été rendu public, plusieurs organes de presse rapportent que Bruno Le Maire y désigne la flambée de dépenses des collectivités territoriales - et plus particulièrement des régions et des communes - comme principal facteur explicatif de ce nouveau dérapage.
Le risque principal est lié à une augmentation extrêmement rapide des dépenses des collectivités territoriales
La situation mensuelle comptable des collectivités locales (SMLC) atteste en effet d’une progression significative des dépenses de fonctionnement sur les sept premiers mois de l’année : +7,5 Md€, soit une hausse de 7 %, amenant Bruno Le Maire à affirmer qu’en année pleine, la dérive budgétaire des collectivités dégradera le déficit public de 16 Md€ supplémentaires.
Le message est clair : haro sur la gabegie des collectivités territoriales !
La parole est à la défense
Toutes les collectivités sont pourtant soumises à une « règle d’or » imposant l’équilibre annuel de leur budget de fonctionnement, sous peine de tutelle financière de la Chambre régionale des comptes.
Ce principe de bonne gestion assure que les collectivités ne peuvent recourir à l’emprunt que pour financer des projets d’investissement et non un déficit de fonctionnement. La dette publique n’étant rien d’autre qu’un report de l’impôt sur les générations futures, on aimerait d’ailleurs que les fonctions centrales de l’État s’astreignent à cette même discipline.
Sans surprise, les chiffres de la SMLC montrent que, dans leur ensemble, les collectivités respectent l’orthodoxie financière avec un solde de fonctionnement (dit épargne brute ou encore capacité d’autofinancement) certes en recul mais toujours excédentaire (9 Md€ sur les sept premiers mois de l’année).
Si les collectivités territoriales participent au déficit public tel que défini par notre comptabilité nationale ainsi que par les règles européennes, ce n’est, par construction, qu’au travers de leurs investissements. Or, ceux-ci sont structurellement en hausse. Cette année encore, à fin juillet : +24 % pour les régions, +4 % pour les départements et +11 % pour les communes.
Impossible, ici, de porter jugement sur le bien-fondé de la multitude de projets se cachant derrière de tels chiffres. Nous rappellerons simplement, à toutes fins utiles, que ces collectivités portent la responsabilité de la construction et de l’entretien des équipements scolaires, des réseaux de transport et d’énergie, des infrastructures de traitement des eaux et des déchets, ainsi que de l’ensemble des équipements culturels et sportifs. Elles sont aussi encouragées par l’État à participer pro-activement aux objectifs de lutte contre le réchauffement climatique : rénovation énergétique des bâtiments publics, projets d’énergie renouvelable, prévention des inondations, revégétalisation des villes. Tout cela a un coût, rarement débattu, que Bruno Le Maire fait mine de découvrir au moment de quitter son poste.
Le serpent de mer de la réforme de la décentralisation
Pour autant, nos élus locaux ne sont pas toujours des parangons de bonne gestion. Chacun aura en tête, près de chez lui, quelque exemple d’infrastructure inadaptée, de projet somptuaire ou d’emplois publics de complaisance. En dépit des efforts de la Cour des comptes, notre pays tarde à développer un dispositif de contrôle de l’efficacité de la dépense publique digne de ce nom, tant à l’échelon national que dans ses territoires. En l’absence d’un tel dispositif, la culture de la maîtrise de la dépense publique reste balbutiante.
Une dynamique délétère se joue également entre l’État et les collectivités locales sur les questions de fiscalité. Quand un candidat à la présidence de la République s’engage à supprimer la taxe d’habitation ou la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises - ressources fiscales intégralement affectées aux collectivités - sans en organiser la parfaite compensation en recettes ou en charges, il initie un jeu de bonneteau qui, en vertu de la règle d’or budgétaire, se solde immanquablement par l’augmentation des taxes dont les collectivités maîtrisent encore les taux (taxe foncière en particulier). Mais ce faisant, le mistigri du leveur d’impôts aura changé de mains…
Le caractère éminemment cyclique des droits de mutation à titre onéreux - qui composent l’essentiel des mal nommés « frais de notaire » sur les transactions immobilières - également affectés aux collectivités locales, pose une autre difficulté. Lorsque le marché immobilier est porteur (2015-2022), les droits de mutation constituent une manne très conséquente pour les départements et les communes. La nature ayant horreur du vide, les budgets ont, eux, horreur des excédents et nos élus ont tôt fait d’imaginer des nouveaux projets ou services à offrir à leurs administrés, rehaussant d’autant la base de coûts incompressibles supportée par la collectivité. Lorsque le cycle se retourne (baisse de 22 % des droits de mutation en 2023), ces mêmes élus, acculés, doivent se résoudre à relever les seuls impôts dont ils maîtrisent le taux. À Paris, le relèvement du taux de la taxe foncière de 13,5 % à 20,5 % en 2023 est l’illustration chimiquement parfaite de cette spirale malsaine.
De façon plus générale, c’est l’articulation entre l’État et les différents échelons territoriaux qu’il conviendrait de reposer à plat et de moderniser. Le rapport remis par Eric Woerth au président de la République au mois de mai allait globalement dans ce sens, proposant d’une part de délimiter de façon plus nette les contours des missions des différents échelons institutionnels et, d’autre part, d’attribuer à chaque strate des ressources fiscales cohérentes assorties du pouvoir de fixation de leur taux.
La dissolution annoncée en juin n’aura cependant pas permis de lancer la phase de concertation qui devait suivre celle du diagnostic. Le nouveau climat politique paraît désormais peu propice à la recherche des compromis qui auraient pu permettre de faire avancer une telle réforme et l’on peut craindre que ces travaux ne prennent prématurément le chemin des archives de la République…
Le jeu de la diversion
Aussi imparfaites fussent-elles, les collectivités territoriales n’ont qu’une faible responsabilité dans la détérioriation des finances publiques françaises. Leurs 175 Md€ de dettes passeraient presque pour quantité négligeable dans l’océan de notre dette publique nationale de 3.200 Md€.
La dette des collectivités est stable depuis 30 ans voire même en légère diminution, passant de 9 % du PIB en 1995 à 8.9 % en 2023, et elle ne finance que de l’investissement. Les dépenses des collectivités, malgré le « millefeuille administratif » qui caractérise la France, représentent moins de 12 % du PIB contre 18 % pour la moyenne européenne.
N’en déplaise à Bruno Le Maire, c’est la dégradation accélérée de la situation financière de l’État qui devrait nous préoccuper au premier chef, bien avant celle des collectivités.
Selon la situation mensuelle de l’État publiée il y a quelques jours, le ministre nous laisse en partant un déficit qui, sur les sept premiers mois de l’année, se monte déjà à 157 Md€, hors Sécurité sociale et collectivités territoriales, soit presque le double de celui constaté en 2017 sur la même période.
Le premier facteur explicatif de cette dérive est la lente noyade de notre système de retraite par répartition dont les déficits débordent du budget de la Sécurité sociale au travers des niveaux de cotisation exorbitants appliqués à la fonction publique (au demeurant supportés également par les collectivités).
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