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Retour en grâce du Livret d'Épargne Populaire

Volontarisme politique ou effet induit du retour de l'inflation ?

Dans le paysage de l’épargne française, c’est l’un des faits marquants de ces deux dernières années. Le nombre de Livrets d'Épargne Populaire est passé de 6,9 millions fin 2021 à plus de 10 millions aujourd’hui. Sur la même période, les sommes collectées ont crû de plus de 50% pour approcher aujourd’hui les 60 milliards d’euros. Un mouvement que la Banque de France n’hésite pas à qualifier de « percée historique ».

Afin de comprendre ce regain d’engouement pour un produit qui n’est plus dans sa première jeunesse, il convient de revenir aux sources…

Brève histoire du Livret d’Épargne Populaire

Nous sommes en 1981. Suite aux deux chocs pétroliers de 1973 et 1979, une boucle inflationniste prix-salaires s’est enclenchée et l’inflation atteint 13,4%. Le taux du Livret A est alors de 8,5%, assurant aux épargnants un rendement réel négatif.

Relever le taux du Livret A, dont le coût est supporté par l’État au travers de la Caisse des dépôts, alors que le Franc est attaqué sur les marchés et que François Mitterrand a dû se résigner à une première dévaluation, n’est pas concevable.

Jacques Delors, alors ministre de l’Économie et des Finances, propose un compromis : maintenir le taux du livret A à 8,5% tout en créant un nouveau livret réservé aux plus modestes qui bénéficierait d’un complément de rémunération par rapport au livret A permettant de suivre l’indice des prix. Le Livret d’Épargne Populaire est lancé en mai 1982 pour « aider les personnes aux revenus les plus modestes à placer leurs économies dans des conditions qui en maintiennent le pouvoir d’achat ». Rapidement rebaptisé « livret rose » par le grand public, il est initialement réservé aux ménages dont les revenus sont inférieurs au seuil d’imposition (soit, à l’époque, 56% des ménages français), assorti d’un plafond de dépôt de 10.000 francs par personne.

Au fil des années, le dispositif évolue. Bien que les conditions de revenus aient été facialement assouplies - actuellement, revenu imposable annuel maximal de 21.393 € pour une personne seule et 32.818 € pour un couple - la Direction générale des Finances publiques estime que la proportion de la population majeure remplissant ces conditions n’est plus aujourd’hui que de 35%.

Le plafond de dépôts sera régulièrement réajusté jusqu’en 2002 pour atteindre 7.700€, puis gelé pendant plus de 20 ans avant d’être enfin relevé à 10.000€ au 1er octobre 2023.

Un refuge contre l’inflation

Mais le principal facteur explicatif de la renaissance du Livret d’Épargne Populaire est son taux, exprimé relativement à celui de son grand frère, le Livret A, et à l’inflation.

Lorsqu’il est introduit en 1982, le Livret d’Épargne Populaire offre un complément de rémunération de plus de 3% par rapport au taux du Livret A.

En 2004, le taux du Livret d’Épargne Populaire est indexé sur celui du Livret A, majoré de 1%. En 2008, cette majoration est ramenée à 0,50%. Les encours des Livrets d’Épargne Populaire touchent un pic de 61,7 milliards d’euros avant d’entamer une baisse régulière jusqu’en septembre 2019.

Début 2020, le taux du Livret d’Épargne Populaire touche son plus bas historique à 1%. Crucialement, la formule de calcul est alors revue dans un esprit conforme à l’intention d’origine : le taux est indexé sur l’Indice des Prix à la Consommation, sans pouvoir être inférieur à celui du Livret A majoré de 0,50%.

En 2022, suite au retour brutal de l’inflation, le taux du Livret d’Épargne Populaire s’envole, passant à 2,20% en février 2022, 4,60% en août 2022 puis 6,10% en février 2023, avant de revenir à 6% en août 2023. En seulement quelques mois, le Livret d’Épargne Populaire reprend un avantage de taux de 3% par rapport au Livret A. Les Français savent compter et la collecte monte en flèche.

Cartographie des Livrets d’Épargne Populaire

Le 31 octobre, la Banque de France diffusait un bulletin célébrant ce retour en grâce du Livret d’Épargne Populaire. La cartographie qu’elle nous présente, tout en étant bienvenue, appelle de nombreuses questions :

  • 10,1 millions de LEP ouverts pour 18,6 millions de Français éligibles : quelle est la part d’incapacité à épargner et de déficit d’information ?

  • Une sur-représentation très nette des retraités et des agriculteurs, qui sont respectivement 16,8% et 23,3% à détenir un LEP : mais dans quelle proportion ceci est-il imputable à leur sur-représentation dans la population éligible au LEP plutôt qu’à des différences comportementales ?

  • Une sur-représentation des femmes, qui constituent 61,7% des détenteurs de LEP. Même question que sur le point précédent : part imputable à une sur-représentation dans la population éligible vs. comportementale ?

  • Des variations régionales très importantes. Certaines s’expliquent vraisemblablement par des différences de tissus socio-professionnels (sur-représentation de la Bretagne en raison du poids de l’agriculture, sous-représentation de l’Ile de France en raison du poids des activités tertiaires). La forte sous-représentation de l’Outre-Mer, qui pourtant bénéficie de plafonds de ressources spécifiques, pointe sans doute vers d’autres facteurs (incapacité à épargner ou moindre niveau d’information).

Et ensuite ?

À n’en pas douter, le relèvement à 10.000 € du plafond de dépôt du Livret d’Épargne populaire à compter du 1er octobre donnera un nouveau coup de fouet aux encours collectés sur ce produit. Son taux de 6% en fait le seul produit d’épargne à capital garanti permettant de compenser l’inflation et les ménages éligibles disposant d’une capacité d’épargne n’ont aucune question à se poser : le Livret d’Épargne Populaire devrait être leur support d’épargne prioritaire jusqu’à saturation du plafond de 10.000€.

Néanmoins, à horizon de quelques semaines, avec un Indice des Prix à la Consommation mesuré par l’Insee en phase de normalisation (+4% sur 12 mois à fin octobre), il y a fort à parier que le taux du LEP sera revu à la baisse à compter du 1er février 2024.

Stay tuned !

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Sources