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Panorama d'un marché immobilier en transition
Cet article est une republication de celui paru dans La Revue Ingénierie Patrimoniale de juillet 2024.
Le marché de l’immobilier résidentiel français traverse depuis 18 mois une période d’ajustement douloureuse. Nous tenterons ici de décrire les principaux facteurs à l’œuvre et d’esquisser quelques perspectives.
Marche arrière toute sur la politique monétaire
En France comme ailleurs en Europe, le retournement du marché immobilier s’explique d’abord par le changement radical de régime monétaire intervenu en 2022. Après une décennie de taux directeurs nuls ou négatifs, le retour de l’inflation à partir de l’automne 2021 a contraint la Banque centrale européenne (BCE) à brutalement durcir sa politique monétaire. En moins d’un an, les taux directeurs étaient portés de leur plus bas à leur plus haut niveau depuis la création de l’institution (taux de dépôt à 4 % en juin 2023 contre -0,50 % en juillet 2022).
Dans le même temps, la BCE imposait le remboursement accéléré de 2.300 Mds€ de lignes de refinancement exceptionnelles accordées aux banques pendant la pandémie de Covid afin qu’elles continent à financer l’économie. En l’espace de seulement quelques mois, les grands groupes bancaires étaient ainsi contraints de reconfigurer leur gestion financière pour s’adapter à ce retrait massif de ressources.
Il s’en est suivi une hausse rapide des taux de crédit à l’habitat, passés selon l’Observatoire Crédit Logement de 1,03 % en octobre 2021 à 4,21 % en novembre 2023 ainsi qu’un effondrement concomitant de la production de nouveaux crédits : seulement 21,7 Mds€ au 1er trimestre 2024 contre 61,6 Mds€ au 2e trimestre 2022 selon la Banque de France (-65 %).
Si le durcissement de la politique monétaire peut être considéré à juste titre comme une externalité européenne, la situation a été aggravée en France par des paramètres réglementaires spécifiques :
d’une part, un retard d’ajustement du taux d’usure qui, de l’été 2022 à l’été 2023, a empêché les banques de répercuter la hausse de leurs coûts de refinancement dans les taux de crédit, les incitant à réduire drastiquement leur production ;
d’autre part, l’entrée en force à contretemps (janvier 2022) des normes du Haut conseil de stabilité financière sur les crédits à l’habitat, imposant un plafond de 35 % sur le taux d’endettement, particulièrement pénalisant pour les candidats à la primo-accession et pour l’investissement locatif, sans prendre en considération les perspectives d’évolution des revenus ou la notion de « reste à vivre ». Ces normes ont également mis fin à la prise en compte des revenus locatifs selon la méthode dite du différentiel, réduisant considérablement la capacité d’emprunt des investisseurs.
L’inévitable ajustement des volumes de transactions
La hausse brutale des taux de crédit a eu pour premier effet de désolvabiliser les candidats à l’accession à la propriété. À titre d’illustration, le passage du point bas (1,03 %) au point haut des taux (4,21 %) se traduit, pour un crédit à 20 ans, par une augmentation de 34 % des mensualités de remboursement, soit une surcharge de 312 € par mois pour un crédit de 200.000 €. Combinée au plafonnement du taux d’endettement, la hausse des taux engendre pour la plupart des ménages une baisse drastique de la capacité d’emprunt, augmentant d’autant le besoin d’apport personnel à prix constant.
Dans un marché de crédits basés sur des taux fixes longs, comme nous l’avons en France, la hausse des taux a ensuite un second effet, plus insidieux mais tout aussi puissant. Une grande proportion des propriétaires ont encore un prêt habitat en cours, obtenu (ou renégocié) à des taux inférieurs à 2 % pendant la période 2016-2022. Pour cette population, tout déménagement imposerait de rembourser ce crédit par anticipation et d’en contracter un nouveau aux taux actuels, entraînant là encore une surcharge de remboursement mensuel très significative. Ainsi, hors situations de force majeure (divorces, décès), cette population se met en marge du marché dans l’espoir que les écarts de taux reviennent à des niveaux plus modestes.
Sans surprise, le durcissement des conditions de crédit a donc entraîné un recul rapide des volumes de transactions, de 1,2 millions en 2021 à 875.000 en 2023.
Lorsque l’on ramène ces volumes de transactions à l’évolution de la population française sur le temps long, il apparaît clairement que les volumes des années 2017-2022 correspondaient à un « sur-régime » causé, à titre principal, par l’aubaine historique d’emprunts à des taux inférieurs à 2 % (et vraisemblablement, à titre secondaire, par le contexte de pandémie et le développement accéléré du télétravail).
Ainsi, les volumes de transactions de l’année 2023 apparaissent conformes à la moyenne de long terme. C’est la rapidité de cette normalisation, plus que toute autre chose, qui rend la nécessaire adaptation des acteurs du secteur très douloureuse.
Notons aussi que, compte tenu des effets de latence liés aux décisions d’investissement et aux processus de transaction, les volumes continueront de baisser quoiqu’il arrive en 2024. La Fédération nationale de l’immobilier table sur un chiffre de 800.000 transactions qui nous semble encore teinté d’un certain optimisme.
On peut enfin remarquer que le recul des volumes de transactions, aussi fort soit-il, est beaucoup moins marqué que celui des crédits octroyés. Cela tend à montrer qu’une partie du choc a été absorbée par l’augmentation des niveaux d’apport personnel, aidée par des niveaux d’épargne record pendant la pandémie ainsi que le recours très fréquent à des formes de soutien intergénérationnel dans le cercle familial.
Des baisses de prix qui se propagent sur le territoire
Dans un tel contexte, un ajustement à la baisse des prix dans l’ancien est nécessaire afin de restaurer le pouvoir d’achat immobilier des candidats à l’accession. Néanmoins, de nombreux vendeurs potentiels se mettant en marge du marché pour les raisons mentionnées précédemment, cette baisse n’intervient que très progressivement, au fil des ventes contraintes. Cette asymétrie (fort recul des volumes mais faible ajustement des prix) avait déjà été observée en 2008-2009. En cela, le marché français diffère des marchés où les crédits sont à taux révisables, dans lesquels l’ajustement des prix est beaucoup plus marqué, permettant aux volumes de transaction de rebondir plus rapidement.
Dans le graphique suivant, nous affichons en base 100 le point haut des prix sur chacun des territoires suivis par l’INSEE, permettant de visualiser à la fois à quel moment celui-ci est atteint dans chacune des régions ainsi que l’ampleur de la baisse cumulée à la fin du 1er trimestre 2024.
On observe tout d’abord que Paris se démarque avec une baisse commencée dès le début de l’année 2021, vraisemblablement en lien avec le développement du télétravail pendant les périodes de confinement. Le recul est d’abord modeste puis s’accélère à partir de la fin 2022, sous l’effet de la hausse des taux. Le recul cumulé atteignait déjà 12 % sur les transactions enregistrées au 1er trimestre 2024 (qui correspondent en réalité à des compromis signés fin 2023).
Lyon, Lille et le reste de la région parisienne n’entament leur baisse que fin 2022 mais suivent désormais une pente similaire à Paris. Marseille et la province au sens large n’amorcent leur correction qu’au printemps 2023 et la baisse cumulée n’y est encore que d’environ 5 %. Enfin, la région Provence Alpes Côte d’Azur et la France rurale n’entrent en phase baissière que très modestement, sur les six derniers mois.
Un pouvoir d’achat immobilier qui commence tout juste à se rétablir
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