Les séniors face au crédit

Exclusion et solutions

Laurent Permasse a consacré sa carrière au développement des avantages sociaux en entreprise et à une finance engagée. Son goût pour l’aventure entrepreneuriale et l’innovation sociale l’a conduit à créer le ticket social, devenu le Cesu préfinancé. Aujourd’hui Président du Directoire de SOFIAP (Société financière pour l’accession à la propriété), filiale de La Banque Postale et de la SNCF, il milite pour une prise de conscience collective de l’inadaptation de nos sociétés à la nouvelle longévité et pour un traitement juste de nos aînés.

À l’heure où certains rêvent de jeunesse éternelle, la France se prépare à affronter un “Alpe d’Huez démographique”. Dès 2030, un tiers de nos concitoyens auront plus de 60 ans. D’après le rapport Nous vieillirons ensemble de Luc Broussy, de 2020 à 2030, la tranche des 75-84 ans passera de 4,1 à 6,1 millions, puis les 85 ans et plus verront leur nombre augmenter de 58 % sur la décennie suivante. On parle beaucoup, et à raison, de la transition énergétique. N’oublions pas la “transition démographique”. Elle impactera nos familles et notre système de santé. Elle nous concerne tous, aujourd’hui comme demain.

L’âge, facteur d’exclusion face au crédit

À l’âge de prendre sa retraite, chacun aimerait avoir accumulé suffisamment d’épargne pour ne plus avoir besoin de recourir au crédit. Dans la réalité, cependant, le patrimoine des séniors est souvent concentré sur des actifs ou supports financiers difficilement mobilisables (immobilier, assurance-vie, etc).

Et pourtant, des besoins de trésorerie importants peuvent apparaître à tout moment. Rénover une maison, réaliser une donation au bénéfice de ses enfants, s’offrir les voyages dont on a toujours rêvé ou encore financer des aménagements ou une aide à domicile suite à une perte d’autonomie, la liste est longue…

Les personnes concernées font alors l’expérience d’une inégalité silencieuse : celle des séniors face au crédit.

Cela commence dès 50 ans, indépendamment du niveau de revenus ou de patrimoine, par le renchérissement progressif de l’assurance emprunteur qui est presque toujours exigée pour obtenir le dit crédit. Puis rapidement, c’est l’horizon maximal d’emprunt qui commence à se raccourcir, la plupart des assurances refusant de couvrir le risque de décès au-delà de 75 ans.

Nous tenterons dans cet article de dresser un panorama des solutions alternatives qui permettent de répondre à ces situations.

Le nantissement d’actifs

Une banque peut accepter de faire crédit sans assurance emprunteur. Afin de se protéger en cas d’invalidité ou de décès de l’emprunteur, elle exige alors une sécurité supplémentaire sous forme d’une prise en garantie d’actifs financiers (contrats d’assurance-vie, SCPI…). Les pratiques en la matière varient d’une banque à l’autre. Celles-ci réservent généralement ces montages à leurs clients patrimoniaux et n’acceptent en garantie qu’une liste restreinte de supports, souvent limitée aux produits qu’elles distribuent elles-mêmes.

Sauf exception, ces crédits sont amortissables et nécessitent par conséquent de maintenir un niveau de revenu permettant de couvrir facilement les mensualités engendrées.

 Avantages

  • taux compétitifs

 Inconvénients

  • réservé aux clients patrimoniaux

  • limité à certains actifs

  • engendre une charge de remboursement

Pour qui ? Les retraités aux revenus confortables disposant d’un patrimoine financier qu’ils peuvent apporter en garantie.

Le prêt avance rénovation

Le prêt avance rénovation est un dispositif réglementaire introduit en 2016 qui gagne à être connu. Il permet de financer le “reste à charge” de travaux de rénovation énergétique de la résidence principale sans avoir à supporter les charges de remboursement mensuelles d’un crédit classique. En effet, le prêt n’est remboursable qu’à la revente du bien ou lors de la succession. Les intérêts également peuvent être capitalisés jusqu’à la revente ou la succession (option réservée aux emprunteurs de plus de 60 ans). L’emprunteur conserve toutefois la possibilité de rembourser à tout moment sans pénalité.

Ce prêt ne nécessite ni assurance emprunteur ni questionnaire de santé. L’éligibilité à ce produit était jusque là conditionnée à des plafonds de revenus assez bas. Toutefois, le projet de loi de finances prévoit que cette condition soit abrogée au 1er janvier 2024.

On peut trouver aujourd’hui le prêt avance rénovation au taux de 2 %. Attention néanmoins, chaque banque reste libre de fixer son taux (et certaines ne distribuent pas encore ce produit).

 Avantages

  • pas de charge de remboursement mensuelle

  • actuellement disponible au taux de 2 %

  • cumulable avec Ma Prime Rénov’

  • ni assurance emprunteur ni questionnaire médical

  • remboursable à tout moment sans pénalité

 Inconvénients

  • réservé aux travaux menés par les professionnels labellisés RGE

  • pas encore proposé dans tous les réseaux bancaires

Pour qui ? Toute personne devant financer le reste à charge de travaux de rénovation énergétique.

Le prêt viager hypothécaire

Ce prêt se fonde sur les mêmes principes financiers que le prêt avance rénovation : remboursement à la revente ou à la succession, capitalisation des intérêts, possibilité de remboursement anticipé sans pénalité, absence d’assurance emprunteur et de questionnaire de santé.

Il présente cependant l’avantage de ne pas être réservé aux projets de rénovation énergétique. En fonction de l’âge de l’emprunteur, le montant maximal d’un tel prêt peut atteindre 60 % de la valeur du bien remis en hypothèque, soit des sommes beaucoup plus importantes qu’un prêt avance rénovation.

Par rapport à une cession en viager ou en nue-propriété (voir plus bas), le prêt viager hypothécaire permet de continuer à capter l’appréciation de valeur du bien et de le conserver dans le périmètre successoral. Lors de la succession, les héritiers peuvent au choix rembourser le crédit sur leurs propres ressources ou engager un processus de vente.

 Avantages

  • pas de charge de remboursement mensuelle

  • ni assurance emprunteur ni questionnaire médical

  • remboursable à tout moment sans pénalité

  • conservation du bien dans le périmètre successoral

 Inconvénients

  • taux actuellement compris entre 5 et 6 %

Pour qui ? Les retraités avec descendants faisant face à un besoin de trésorerie et souhaitant conserver le bien dans le périmètre successoral.

Un crédit vous engage et doit être remboursé. Vérifiez vos capacités de remboursement avant de vous engager.

Le viager “classique”

La vente en viager est l’opération qui consiste à monétiser sa résidence principale en la cédant tout en retenant l’usage du logement jusqu’à son décès. Le vendeur touche une somme initiale (le “bouquet”, qui varie selon l’âge du vendeur mais se monte en moyenne à 30 % de la valeur du bien) complétée d’une rente viagère mensuelle indexée sur l’inflation. Il est également libéré des charges incombant au propriétaire telles que gros travaux et taxe foncière.

Viager occupé ou viager libre ?

Par opposition au viager occupé, le vendeur ne conserve pas l’usage du logement dans le viager libre. En contrepartie, le bouquet et/ou la rente viagère sont significativement majorés. Cette solution peut être appropriée pour céder, par exemple, une résidence principale devenue inadaptée ou une résidence secondaire.

À noter également qu’il est possible pour le vendeur en viager occupé de négocier une majoration de la rente viagère s’il était amené à ne plus occuper le logement. Un tel mécanisme permet d’alléger le coût d’un départ en maison de retraite.

Avec seulement 6.000 transactions réalisées en France en 2022, le viager reste une solution mal acceptée du fait de son caractère irréversible et du sentiment de spoliation qu’il peut causer pour les ayants droit du vendeur.

En outre, la vente en viager est fiscalement suboptimale, la rente viagère étant paradoxalement imposée à l’impôt sur le revenu (après abattement de 70 %) alors qu’elle constitue un produit de cession de la résidence principale et devrait, à ce titre, en être exonérée.

Point d’attention : la cession en viager au sein d’une même famille est une opération surveillée par l’administration fiscale. Il est essentiel de pouvoir apporter la démonstration que la transaction est réalisée aux conditions de marché, sous peine que celle-ci soit requalifiée en donation déguisée.

 Avantages

  • capital immédiat (bouquet) : 30% en moyenne entre 75 et 85 ans en viager occupé.

  • complément de revenu grâce à la rente viagère

  • pas de taxe foncière ni gros travaux (sauf réserve d’usufruit)

 Inconvénients

  • opération irréversible

  • sortie du bien du périmètre successoral

  • perte patrimoniale pour les ayants droit

  • rente soumise à l’impôt sur le revenu après abattement de 70 %

Pour qui ? Les retraités sans descendance et dans les tranches basses de l’impôt sur le revenu qui souhaitent adoucir leurs vieux jours avec un meilleur train de vie et/ou se protéger du risque financier lié à la perte d’autonomie.

La vente en nue-propriété

Cette opération se résume économiquement à une vente en viager sans rente (bien que la forme juridique soit celle d’une cession en nue-propriété) : le vendeur touche l’intégralité du prix le jour de la vente et conserve la faculté d’occuper les lieux, sans recevoir de rente ni payer de loyer. Il est également libéré des charges incombant au propriétaire telles que gros travaux et taxe foncière.

Comme dans un viager classique, le bien sort du périmètre successoral mais cette formule permet de toucher un “bouquet” bien supérieur à celui d’un viager classique, en contrepartie de l’abandon de la rente viagère.

À savoir : la différence entre réserve de droit d’usage et d’habitation et réserve d’usufruit

La réserve d’usufruit, contrairement à la réserve de droit d’usage et d’habitation, permet de louer le bien lorsqu’on ne l’occupe plus, ce qui allège le coût d’un départ en maison de retraite.

Elle implique en revanche le maintien à la charge du vendeur des gros travaux et de la taxe d’habitation.

 

 Avantages

  • capital immédiat supérieur au viager classique

  • pas de taxe foncière ni gros travaux (sauf réserve d’usufruit)

 Inconvénients

  • opération irréversible

  • sortie du bien du périmètre successoral

Pour qui ? Les retraités qui doivent faire face à un besoin de trésorerie ponctuel sans avoir à rehausser leur revenu récurrent.

Une solution innovante : la cession partielle en indivision

La cession partielle en indivision est une solution originale proposée par Merci Prosper, une société à mission fondée en 2022 par Thibault Corvaisier, ex dirigeant de Turgot Asset Management qui avait notamment piloté le fonds ViaGénérations, et Anthony Piquet, ex directeur général de WebHelp Payment Services.

Plutôt que de vendre l’intégralité de son bien, le vendeur n’en cède qu’une part comprise entre 10 % et 50 %, ajustée à la somme dont il a besoin. Il conserve par ailleurs la jouissance complète de son logement pour une durée de son choix. Une indemnité d’occupation est calculée en fonction de cette durée qui est alors déduite du prix de vente des parts. Celle-ci est restituable si le vendeur est amené à revendre son logement avant le terme prévu. Symétriquement, le vendeur a la faculté de prolonger la phase d’occupation moyennant paiement d’une indemnité complémentaire. Enfin, ses parts d’indivision n’étant pas grevées d’une hypothèque, il demeure entièrement libre d’en organiser la transmission de son vivant.

À l’instar du crédit viager hypothécaire, cette solution innovante présente l’avantage de ne pas amputer de manière irréversible le patrimoine familial. À la succession, les héritiers peuvent racheter les parts détenues par Merci Prosper ou engager conjointement un processus de vente.

Elle est d’ores et déjà disponible en Île de France et devrait rapidement être déployée à d’autres grandes villes.

 Avantages

  • la part qui n’a pas été vendue reste dans le périmètre successoral et peut être transmise de son vivant

  • opération qui s’adapte au besoin du vendeur

  • faculté de louer ou revendre le bien s’il n’est plus occupé

 Inconvénients

  • taxe foncière à la charge du vendeur

Pour qui ? Les retraités avec descendants qui doivent faire face à un besoin de trésorerie ponctuel, sans avoir à rehausser leur revenu récurrent, et souhaitent conserver le bien dans le périmètre successoral sans pour autant s’endetter.

Le rôle des aidants et des entreprises

En 2030, un salarié sur quatre sera aidant. Plus de 20 % des actifs ont déjà été obligés de s’absenter du travail pour s’occuper d’un proche. Selon une estimation de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), 8 à 11 millions de personnes sont aujourd’hui des aidants dont 57 % de femmes. Ils supportent une charge physique, mentale et émotionnelle qui ne doit pas être prise à la légère.

Or, seuls 2 % d’entre eux déclarent être accompagnés par leur entreprise. Ce sujet mérite d’être pris à bras le corps. L’entreprise peut être un formidable régulateur économique et social. Et c’est aussi une question de bon sens : par nécessité, la situation des aidants a des impacts sur leur activité.

Les salariés aidants souffrent le plus souvent en silence. Une récente étude OCIRP x Viavoice révèle que 75 % des aidants n’ont pas jugé bon d’informer leur employeur de leur situation et ne souhaitent pas le faire. Pourquoi un tel tabou ? Parce qu’ils ne veulent pas être vus comme des salariés diminués auxquels on ne confie plus un projet car « ils ont un problème ». Ils veulent éviter à tout prix, et cela les honore, que cette situation douloureuse affecte leur employabilité.

Plutôt que de subir cet état de fait, les entreprises ont vocation à devenir actrices du changement. Elles ont là une occasion unique de réaffirmer leur rôle social en accompagnant leurs salariés aidants. C’est une question de Responsabilité, R comme RSE.

C’est également un levier efficace pour renforcer l’attachement et l’engagement de leurs collaborateurs. À chaque fois qu’une entreprise aide un salarié à financer la pièce en plus ou les travaux d’aménagement qui permettront d’accueillir un parent, elle marque des points en termes de fidélisation et d’attractivité tout en apportant une preuve très concrète de sa démarche citoyenne à l’heure où la question du logement constitue souvent un frein à l’emploi. Les pouvoirs publics, de leur côté, auraient tout intérêt à soutenir cette démarche en exonérant de charges sociales et fiscales la prise en charge par l’employeur des intérêts de tels crédits.

Assurance vie

Les aides prévues en cas de perte d’autonomie

De nombreuses aides existent afin de faire face aux contraintes financières qu’engendre une perte d’autonomie.

  • L’Allocation Personnalisée d’Autonomie permet aux personnes en situation de perte d’autonomie de toucher une indemnité allant jusqu’à 1,914 € par mois, sous condition de ressources, afin de couvrir une partie des charges liées à leur condition telles que des aides à domicile.

  • Le dispositif Habiter Facile de l’Agence Nationale pour l’Habitat permet, sous conditions de ressources, de financer jusqu’à 10.000 € et 50 % du coût de nombreux travaux (équipements de sécurité, montes-escaliers, volets électriques, aménagements de salles de bains, etc).

  • D’autres aides peuvent être disponibles à l’échelle régionale ou locale. Elles sont utilement recensées par l’Agence Nationale pour l’Information sur le Logement 

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Sources et bibliographie