Les rachats d'actions du CAC 40 vers un nouveau record
La fin d'un cycle
Selon Laurent Grassin, directeur de la rédaction de Boursorama, les rachats d’actions des entreprises du CAC 40 se montent à 23 milliards d’euros à fin septembre et devraient approcher 28 milliards d’ici à la fin de l’année. Ces chiffres sont à rapprocher des 23,7 milliards rachetés en 2022. Nous tenterons dans cet article de montrer qu’un tel phénomène marque la fin d’un cycle.

Sources : Vernimmen.net (2013-2022), Boursorama (2023)
Contextualiser
Ce qui est indéniablement un phénomène d’ampleur à l’échelle française mérite tout d’abord d’être relativisé :
Le programme de rachat d’actions de TotalEnergies pèse à lui seul 8,5 milliards d’euros en 2023, soit presque un tiers de l’ensemble.
BNP Paribas, qui n’avait pas de programme de rachat d’actions en 2022, a entériné cette année une enveloppe de rachat de 5 milliards d’euros suite à la cession de sa filiale Bank of the West.
Les rachats d’actions représenteront cette année l’équivalent de 1,1% de la capitalisation boursière du CAC 40. Par comparaison, ce chiffre est de 2,2% pour le S&P 500.
Dépolitiser
Avant de poursuivre la réflexion, il convient de déconstruire les discours politiques simplistes que le sujet attire presque inévitablement.
D’un côté, une position de gauche expliquant que ces rachats d’actions alimentent un enrichissement indu des actionnaires au détriment des travailleurs. Ainsi la CFE-CGC, syndicat représentant des cadres, appelait il y a quelques semaines à couper les subventions publiques aux entreprises pratiquant des rachats d’actions. Une telle position semble méconnaître le fait que, rachat d’actions ou pas, le patrimoine net d’une entreprise est la propriété de ses actionnaires, au sens économique comme au sens juridique (au travers de la personne morale). Sauf à remettre en cause la notion même de propriété privée, cette argumentation n’est rationnellement défendable que si elle est portée au niveau même du profit de l’entreprise, lorsqu’il atteint un niveau jugé excessif. Mais dès lors que l’entreprise a enregistré un résultat et s’est acquittée de l’impôt sur les sociétés, pourquoi différencier le rachat d’actions d’une distribution de dividendes, l’un comme l’autre n’étant que la restitution à l’actionnaire d’un patrimoine net qui lui appartient déjà ?
De l’autre côté, invariablement celui du parti au pouvoir, l’idée que l’intérêt de la nation serait que ces capitaux soient réinvestis au sein même de l’entreprise plutôt que distribué aux actionnaires. Là encore, le raisonnement s’affranchit du fait que le rachat d’actions, bien que répondant à des modalités juridiques différentes, est strictement équivalent au versement d’un dividende sur le plan économique. Il présuppose en outre que le pouvoir politique serait mieux à même de juger des opportunités d’investissement d’une entreprise que ses dirigeants et ses actionnaires : sans commentaires. Plus prosaïquement, la vague de rachat d’actions est un petit bonhomme de pain d’épices fiscalement très tentant pour un État qui se refuse à traiter son addiction à la dépense publique.
Le choix du rachat d’actions
Prenons le temps de décomposer le chemin de pensée amenant un dirigeant à proposer un programme de rachat d’actions à ses actionnaires.
Le point de départ - condition sine qua non - est que l’entreprise atteigne un niveau de rentabilité lui permettant d’assurer sans difficulté ses besoins essentiels : maintien en condition de l’outil de production, rémunération compétitive des salariés, versement aux actionnaires d’un dividende correspondant aux attentes du marché.
Une fois ces besoins essentiels couverts, en présence d’un excédent, le dirigeant à plusieurs possibilités :
Réinvestir dans des projets permettant d’assurer la poursuite du développement de l’entreprise (extension des capacités de production ou de distribution, recherche et développement, lancement de nouvelles lignes-métiers, acquisitions, etc). De tels projets, dès lors qu’ils s’inscrivent dans la stratégie de l’entreprise et présentent des perspectives de retour sur investissement conformes aux attentes des actionnaires, auront naturellement la faveur des dirigeants.
Désendetter l’entreprise, si la possibilité existe de rembourser des crédits dont le taux est supérieur au rendement offert par de nouveaux projets.
Faute de mieux, restituer l’excédent aux actionnaires.
Lorsque cette troisième option est retenue, reste alors à choisir entre distribution de dividendes et rachats d’actions. Équivalentes du point de vue du patrimoine de l’entreprise, ces deux possibilités envoient au marché des messages différents :
L’augmentation du dividende, sauf à ce qu’il soit qualifié d’exceptionnel, engendre l’anticipation de dividendes durablement plus élevés pour les années qui suivent. Ceci peut être bénéfique à la valorisation du titre mais aucun dirigeant n’aime devoir annoncer l’année suivante une réduction du dividende.
A l’inverse, le lancement d’un programme de rachat d’actions est perçu comme une mesure qui n’emporte pas de récurrence. Du point de vue du dirigeant, c’est l’option la plus prudente lorsqu’on doute de sa capacité à maintenir le niveau de rentabilité de l’entreprise. En outre, le rachat d’actions présente l’avantage de laisser à chaque actionnaire le choix de prendre un gain immédiat (en cédant ses titres) ou de le différer dans le temps (la relution engendrée par le rachat d’actions augmentant le bénéfice par action futur pour ceux qui conservent leurs titres).
Fin de cycle
La vague de rachats d’actions actuelle est ainsi la marque d’entreprises ayant atteint un haut niveau de rentabilité mais estimant arriver à saturation de leurs capacités de réinvestissement et de croissance et/ou doutant que leur rentabilité puisse être maintenue dans les années qui viennent. Elle est, en cela, le signe indubitable d’un cycle économique qui s’essouffle.
TotalEnergies et BNP mis à part, les rachats d’actions du CAC 40 seraient cette année déjà en baisse d’environ 10%. La même tendance est observée aux États-Unis où les rachats d’actions du S&P 500 sont en recul de 19% sur un an. Avec la remontée des taux et le durcissement des conditions d’accès au crédit, les entreprises priorisent désormais leur désendettement.
Il y a fort à parier que la saison de présentation des résultats 2023, au cours de laquelle les dividendes et programmes de rachat annuels seront annoncés, marquera une amplification de ce mouvement.
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