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La taxe foncière à la dérive
De nombreux propriétaires immobiliers auront serré les dents en recevant, ces dernières semaines, leur avis de taxe foncière 2024. En seulement trois ans, celle-ci a augmenté en moyenne de 20 % dans les 200 plus grandes villes de France. La hausse atteint 73 % à Paris, 43 % à Grenoble ou encore 35 % à Nice.
Explications…
La taxe foncière : comment ça marche ?
Pour mémoire, l’assiette de la taxe foncière correspond à 50 % du loyer annuel qui peut théoriquement être tiré d’un bien immobilier, tel qu’estimé par l’administration. Ces “valeurs locatives” résultent d’une modélisation s’appuyant sur des données récoltées en 1970 et sont incrémentées chaque année d’un facteur d’inflation national. Elles sont ajustées, le cas échéant, des travaux majeurs réalisés pour rehausser la qualité des biens.
Il convient de souligner ici que ces valeurs locatives restent purement théoriques et peuvent s’écarter de la réalité des loyers perçus sans que cela n’ouvre droit à un quelconque réajustement. La remise à plat de cette modélisation éminemment complexe, initalement prévue pour 2026, a été reportée à 2028.
Sur cette assiette s’applique une série de taux cumulatifs déterminés par les collectivités locales : communes, syndicats de communes et inter-communalités. S’y ajoutent de façon facultative une taxe spéciale d’équipement fixée par l’Établissement Public Foncier Local (EPFL) ainsi qu’une taxe pour la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations (GEMAPI) déterminée par l’Établissement Public de Coopération Intercommunale (EPCI). Pardonnez la soupe à l’alphabet !
La taxe qui en résulte est due par le propriétaire et n’est pas refacturable aux éventuels locataires (à l’exception de la taxe sur l’enlèvement des ordures ménagères que nous excluons de cette étude).
Un fardeau toujours plus lourd
L’Observatoire des Taxes Foncières publié il y a quelques jours par l’Union Nationale des Propriétaires Immobiliers (UNPI) montre qu’en l’espace de 10 ans, la taxe foncière moyenne a progressé de 33 % quand l’indice des prix à la consommation gagnait 19 % et les loyers moins de 8 %.
Les évolutions sont particulièrement notables sur les trois dernières années. La hausse atteint ainsi 73 % à Paris et dépasse 25 % dans de nombreuses métropoles telles que Marseille, Lyon, Nice, Nantes ou encore Strasbourg. La ponction représente désormais plus de 3 mois de loyers théoriques à Toulouse, Nantes, Montpellier ou Bordeaux, et même plus de 4 mois à Grenoble, Saint Quentin, Carcassonne et Montauban (s’ajoutant, le cas échéant, à l’imposition des loyers réellement perçus).
Évolution de la taxe foncière | Évolution sur 3 ans (2021-2024) | Équivalent loyer (2024) |
---|---|---|
Paris | +73 % | 1,3 mois |
Nice | +35 % | 2,5 mois |
Marseille | +29 % | 2,9 mois |
Nantes | +26 % | 3,2 mois |
Strasbourg | +26 % | 2,5 mois |
Lyon | +26 % | 2,0 mois |
Bordeaux | +22 % | 3,0 mois |
Moyenne 200 villes | +20 % | 2,6 mois |
Montpellier | +17 % | 3,3 mois |
Toulouse | +17 % | 3,0 mois |
Lille | +16 % | 2,9 mois |
L’UNPI tient à disposition le détail des taux appliqués dans près de 35.000 communes : un outil indispensable à consulter avant tout investissement immobilier.
Les mauvais comptes au pays d’Ubu
L’inflation de la taxe foncière résulte d’une série d’aberrations dans ses modalités de calcul ainsi que du gonflement progressif des taux appliqués par les collectivités locales.
Ainsi, en vertu de l’article 1518 bis du Code Général des Impôts, les bases locatives servant d’assiette de calcul, fondées sur des données datant de plus d’un demi-siècle, sont chaque année incrémentées de la progression de l’indice des prix à la consommation (IPCH). Or cet indice ne mesure en rien la réalité de l’évolution des loyers d’habitation qui est suivie, pour les logements du secteur libre, par l’Indice des Loyers d’Habitation (ILH) publié par l’Insee. Sur les 10 dernières années, la progression de l’assiette de la taxe foncière est ainsi 2,5 fois supérieure à celle des loyers !
Pire encore, l’indice retenu ne reflète aucunement les politiques d’encadrement ou de plafonnement des loyers mises en place ces dernières années. À titre d’illustration, les bases locatives servant d’assiette de calcul à la taxe foncière ont ainsi été revalorisées de 7,1 % en 2023 quand l’indexation des loyers était, elle, plafonnée par la loi à 3,5 %.
Le choix de nombreuses communes de relever le taux de leur taxe alourdit encore l’addition. Cela concerne 71 des 200 plus grandes villes de France sur les trois dernières années. Les cas de Paris (+7 points soit +52 %), Grenoble (+13 points soit +25 %), Nice (+5,7 points soit +19 %), Annecy (+5,6 % soit +19 %) et Saint-Étienne (+5,8 points soit +15 %) sont particulièrement frappants.
Et comme tout est bon pour remplir les coffres, le Code Général des Impôts y ajoute des frais de gestion forfaitaires de 3 % visant à compenser l’État des dégrèvements qu’il accorde ainsi que des frais de recouvrement : un cas parmi d’autres d’impôt sur l’impôt.
Notons enfin la généralisation progressive de la taxe GEMAPI. Introduite à titre facultatif en 2015 et directement affectée à la prévention des risques d’inondation, cette taxe concerne désormais 174 des 200 plus grandes villes, contre 115 en 2021.
La taxe foncière, dernière variable d’ajustement
De nombreux propriétaires perçoivent l’augmentation de la taxe foncière comme une façon pour les communes de reprendre d’une main ce qu’elles avaient donné de l’autre, avec la disparition de la taxe d’habitation imposée en 2021 par Emmanuel Macron.
La réalité est plus complexe. Si le mécanisme par lequel l’État compense la perte de la taxe d’habitation avait initialement été jugé incomplet par le Conseil constitutionnel, une loi rectificative en a corrigé les lacunes en août 2022.
Mais avec cette réforme, la taxe foncière est devenue la dernière recette fiscale d’importance dont les communes maîtrisent encore le taux. Son relèvement apparaît alors comme la solution à toute adversité, notamment lorsqu’il convient de contrer la baisse d’autres recettes fiscales, comme celle des droits de mutation actuellement causée par le ralentissement du marché immobilier.
Et c’est ainsi qu’une recette fiscale cyclique (les droits de mutation) est opportunément reportée, en bas de cycle, sur une recette fiscale à base fixe (la taxe foncière). On peut malheureusement craindre que les taux de taxe foncière ne seront pas réajustés à la baisse avec autant de zèle lorsque les volumes de transactions immobilières se seront rétablis.
Enfin, à Paris ou ailleurs, ce même levier peut également permettre de balayer sous le tapis la poussière d’une gestion dispendieuse.
Ces reports de fiscalité sur la taxe foncière sont d’autant plus dommageables que celle-ci, n’étant pas refacturable aux locataires, repose sur une base réduite de contribuables. Ils participent en outre à détériorer encore la rentabilité de l’investissement locatif et, s’ajoutant à une longue liste de contraintes pesant sur les bailleurs privés (obligations de rénovation énergétique, plafonnement des loyers, règles du Haut Conseil de stabilité financière réduisant les capacités d’emprunt, etc.), ne peuvent qu’aggraver la pénurie de logements disponibles à la location déjà observée dans les grands bassins d’emploi.