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La pensée de la social-démocratie doit se renouveler profondément en France
Un État qui s’immisce partout ne fait pas que fragiliser les institutions ; il détruit également les relations de confiance entre les citoyens, car il s’interpose entre eux et les rend étrangers les uns aux autres.
La pensée social-démocrate, telle qu’elle existe en France, a vécu. Elle a beaucoup apporté pendant des décennies. Mais son modèle intellectuel n’a pas beaucoup évolué, alors qu’a minima quatre mouvements d’importance se sont produits. Ils ont été occultés, non pensés, parfois niés, ou, pire même, suivis sans en voir les conséquences. Citons-les sans ordre de priorité. La question de l’autorité publique, de la sécurité et du phénomène migratoire avec le développement de l’idéologie islamiste. Embarquant ainsi la réflexion sur ce qui fait nation. La montée d’un individualisme farouche, avec la survalorisation des droits de chacun et la dévalorisation des devoirs. L’obsession de l’égalité, impliquant un dangereux égalitarisme, au détriment-même de la recherche de l’égalité des chances et de l’équité. Le développement enfin d’une hypertrophie de la sphère publique, dont l’entropie engendre inefficacité, découragement, perte de confiance et montée de l’inquiétude.
Doit être analysée avec attention la perte d’efficacité de la sphère publique. Comme le marché n’est pas exempt d’erreur et de dysfonctionnements endogènes, les décisions des pouvoirs publics elles-mêmes peuvent ne pas être efficaces, voire ne pas être les bonnes. Il n’y a ni omniscience des marchés, ni omniscience de l’Etat. Il est indispensable de considérer, au-delà de toute idéologie, qu’une politique publique peut en effet ne pas être efficace. Pire, qu’elle peut ne pas être appropriée, et même non souhaitable. Qu’elle peut même induire des effets pervers aboutissant à l’exact contraire de ce qui était désiré. Cette base de réflexion doit faire partie du cœur du renouveau de la pensée social-démocrate. Il est ainsi opportun de noter qu’il n’y a pas le « méchant capital » et le « gentil État ». Pas de camp du mal et de camp du bien. Cette vision dichotomique est non seulement simpliste mais également dangereuse car très trompeuse. Il y a le capital et son double, tous deux connaissant leur propre logique de développement sans fin. Là, de rendement, de capitalisation, d’accumulation du capital aurait-on dit autrefois. Ici, de contrôle, de pouvoir. Tous les deux, éprouvant comme tout organisme vivant, la nécessité vitale de croître. Et pourtant, tous les deux sont nécessaires et complémentaires, dès lors que l’on ne laisse ni l’un ni l’autre s’imposer à tous et déstabiliser le délicat équilibre qui permet de combiner efficacement les deux. C’est ce qui autorise une société de progrès.
La logique de développement de l’État : la suradministration
Il faut donc penser librement pour faire l’analyse du développement, depuis des décennies en France, d’un Etat omniprésent, tendant à intermédier les relations de chacun avec l’autre, c’est-à-dire de chacun avec la société. Cet Etat établit un contrôle toujours plus serré sur les individus et développe dans une logique d’entropie une suradministration toujours plus lourde et pesante, et à rendement décroissant.
Si la logique de développement de l’Etat et de la sphère publique doit être pensée, c’est, bien plus qu’aux Etats-Unis, chez nous en Europe et plus particulièrement encore en France que cette analyse critique doit être faite. La suradministration développe le sentiment d’impuissance et partant le découragement et le passéisme. Mais aussi la recherche de l’avantage maximal pour soi-même. Ou encore, chez certains, l’envie de sédition, d’insoumission. Par la logique de croissance sans fin qui lui est propre, la suradministration tente de répondre à tous, en infantilisant les gens et en poussant sans cesse à plus de demande d’Etat. Ce qui amène inéluctablement la déception. Et développe, à son tour, l’angoisse, la peur devenue insurmontable devant tout problème fût-il petit, tant le sens de la responsabilité individuelle a été réduit, abîmé. Trop d’Etat induit une atomisation des individus et leur aliénation quant à leur capacité à agir par eux-mêmes. La suradministration et un Etat trop intrusif et omniprésent peuvent conduire en effet à un affaissement de la confiance en soi-même, mais aussi entre les uns et les autres. Ils sont un frein à l’action individuelle et collective. Et ils entraînent une perte de solidarité auto-organisée entre les membres de la société.
L’action est ce qui permet aux hommes d’apparaître devant les autres, de se révéler dans leur singularité et de construire un monde commun. Lorsque l’État monopolise cette capacité, les citoyens sont réduits au rôle de spectateurs.
En bref, ainsi que le pense avec beaucoup d’acuité Hannah Arendt, cette dynamique induit une perte de l’équilibre nécessaire entre, d’une part, la liberté et la responsabilité individuelle et collective et, d’autre part, la nécessaire régulation pour organiser une société juste. « Le danger, ce n’est pas seulement la violence des régimes autoritaires, mais le glissement progressif vers une administration douce et paternaliste qui asphyxie la liberté sous prétexte de protection. » écrit-elle encore.
La combinaison essentielle de l’éthique et de l’efficacité
Face aux erreurs possibles de la sphère publique, mais aussi face à sa tendance à s’étendre toujours davantage jusqu’à perdre significativement de son efficacité et à développer des freins défavorables à la dynamique de la société, il faut redonner à l’Etat au sens large de la vision et de la vigueur pour accomplir sa tâche au mieux. Il lui faut éviter de se développer de façon superfétatoire. Et éviter de dicter des lois et des règles comme d’engendrer des institutions diverses et variées non strictement nécessaires au bon fonctionnement de l’économie et plus généralement de la vie en société. La sphère publique se doit donc d’assurer la meilleure combinaison de l’éthique et de l’efficacité. Chacun de ces deux termes n’étant en aucun cas l’apanage du seul marché ou du seul Etat. Le partage des rôles en ce domaine est bien plus complexe et imbriqué. Éthique et efficacité, deux termes qu’il est utile de marier dans l’entreprise comme dans la société dans son ensemble, tant ils sont indispensables l’un à l’autre, dans une tension dialectique. L’un ne peut durablement rien sans l’autre et réciproquement. Il n’y a pas d’éthique durable sans efficacité, de même qu’il n’y a pas d’efficacité soutenable sans éthique. Et les deux n’étant en aucun cas l’objet de logiques dichotomiques et opposées. Les pouvoirs publics doivent penser en permanence cette dialectique.
Olivier Klein est professeur de macroéconomie financière et de politique monétaire à HEC. Ce texte est extrait d’une note plus longue, publiée sur son site : « La pensée de la social-démocratie doit se renouveler profondément en France ».