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La France sans budget
Et ensuite ?
L’impasse prévisible du débat budgétaire
Nous écrivons ces lignes alors que Sébastien Lecornu, fraîchement renommé à Matignon, tente une nouvelle fois de former un gouvernement qui puisse échapper à une motion de censure immédiate.
La France Insoumise comme le Rassemblement National ont d’ores et déjà fait connaître leur intention de censurer ce gouvernement quoiqu’il advienne, indépendamment du contenu du projet de loi de finances 2026 qui sera présenté à l’Assemblée nationale dans les jours qui viennent. Toutefois, ces deux groupes, à eux seuls, ne disposent pas de la majorité nécessaire. Le Parti Socialiste, quant à lui, conditionne l’absence de censure à l’abrogation de la réforme des retraites de 2023. Les Républicains, enfin, ont annoncé qu’ils ne participeraient pas au gouvernement tout en se plaçant du côté de la “responsabilité”. Dans ces conditions, la marge de manœuvre de Sébastien Lecornu - parvenant simultanément à satisfaire le PS et LR - apparaît extrêmement réduite. Tout laisse donc penser qu’un vote de censure interviendra dans les semaines à venir, contraignant Emmanuel Macron à une nouvelle dissolution de l’Assemblée nationale, rendant matériellement impossible le vote du budget avant la date butoir du 31 décembre.
Quand bien même Sébastien Lecornu réussirait à éviter une telle censure, la composition actuelle de l’Assemblée nationale ne permet pas l’élaboration d’un budget 2026 soutenu par une majorité. Rappelons que les députés sont, dans un premier temps, amenés à se prononcer sur chaque article de la loi de finances, pris individuellement, ainsi que sur chaque proposition d’amendement. Ce processus nous avait valu l’an dernier une surenchère d’inventivité fiscale, le plus souvent à l’initiative de députés du Nouveau Front Populaire, auxquels se joignaient tantôt les voix dissidentes d’un bloc central très fragmenté, tantôt celles du RN, formant une succession de majorités de circonstances. La loi de finances ainsi réécrite était pour le moins baroque, amenant Michel Barnier à recourir à l’article 49.3 afin de rétablir le texte d’origine. Or Sébastien Lecornu s’est engagé à ne pas utiliser cet article : le patchwork ainsi formé serait donc soumis comme un tout au vote final des députés. Son caractère fiscalement punitif entraînerait vraisemblablement son rejet par l’ensemble du bloc présidentiel, des LR ainsi que du RN.
Il faut donc envisager une France qui terminerait l’année sans loi de finances.
1. Recours à la loi spéciale
En l’absence de loi de finances 2026, le gouvernement aurait la faculté de proposer une « loi spéciale » afin d’éviter une situation de shutdown à l’américaine. Ce texte autoriserait la continuité de la perception de l’impôt dans les conditions de l’année précédente et reconduirait temporairement les budgets de fonctionnement. Bien qu’une telle loi reste soumise à l’approbation du Parlement, l’enjeu du versement du traitement des fonctionnaires est tel que l’on imagine difficilement nos élus s’y opposer. On se souviendra qu’une telle loi spéciale avait été adoptée sans difficulté début 2025, offrant à François Bayrou quelques semaines supplémentaires pour construire un consensus budgétaire.
Si la loi spéciale n’a qu’un caractère temporaire, elle emporte néanmoins certaines conséquences irréversibles :
Le passage de la date butoir du 31 décembre interdit à la future loi de finances le recours à la « petite rétroactivité fiscale ». Ainsi, toute évolution des modalités de l’impôt (seuils, taux, assiettes, nouvelles taxes) ne trouverait à s’appliquer qu’à partir du 1er janvier 2026, sans possibilité de rétroactivité sur l’année 2025. À titre d’illustration, l’augmentation de la flat tax à 33 % ou 36 % - actuellement à l’étude - ne serait pas applicable aux plus-values ou dividendes touchés en 2025.
Les prestations sociales indexées de plein droit sur l’inflation continueraient de l’être aux dates habituelles. En particulier, les pensions de retraite bénéficieraient d’une pleine indexation dès le 1er janvier, échappant ainsi aux velléités de gel ou de sous-indexation.
Idem de l’indexation automatique du SMIC au 1er janvier qui prendrait effet sans possibilité de coup de pouce supplémentaire.
En outre, dans l’attente de l’approbation d’une loi de finances en bonne et due forme, l’ensemble de l’appareil d’État serait mis au régime sec :
Gel des effectifs et absence de revalorisations collectives ou individuelles.
Suspension des nouveaux investissements à tous les niveaux de l’État, collectivités territoriales incluses.
On comprend bien que la loi spéciale n’a vocation qu’à « acheter du temps » afin de permettre la recherche d’un consensus budgétaire. Nous pensons toutefois qu’un tel consensus ne pourra être trouvé, les oppositions semblant déterminées à contraindre Emmanuel Macron à la dissolution. Il se dégage alors deux scenarii principaux dont nous tenterons de décrire les probables conséquences.
2a. Un gouvernement de cohabitation mené par le RN
Il ressort d’une étude IFOP-Fiducial réalisée du 7 au 8 octobre que l’agrégat constitué du RN, de l’UDI (Ciotti) et de Reconquête (Zemmour) recueillerait 40 % des intentions de vote au 1er tour d’une élection législative. S’y ajouterait un total de 14 % pour LR et les candidats de divers droite. Il semble par conséquent que, si une dissolution permet de dégager une majorité de gouvernement - ce qui n’est pas acquis - celle-ci serait très vraisemblablement menée par le Rassemblement National.
Si l’on se réfère à son contre-budget publié il y a un an, une loi de finances écrite par le RN pourrait inclure :
Le remplacement de l’Impôt sur la Fortune Immobilière par un Impôt sur la Fortune Financière, dont l’assiette serait la globalité du patrimoine à l’exception de la résidence principale et des biens professionnels.
L’attribution d’une pleine part fiscale dès le deuxième enfant (impôt sur le revenu).
Une taxation des “super-dividendes” et des rachats d’actions.
Une désindexation des retraites pendant 6 mois (qui, votée en 2026, ne pourrait s’appliquer que sur l’indexation prévue en janvier 2027).
Des baisses de TVA sur l’énergie et les produits de première nécessité.
Une augmentation de la Taxe sur les Transactions Financières.
En matière de dépense publique, les principales sources d’économie identifiées seraient liées à la réduction des flux migratoires, à la suppression de l’Aide Médicale d’État, à la baisse de l’aide au développement ainsi que des subventions aux associations et à la presse et à une hypothétique renégociation de la contribution de la France au budget de l’Union Européenne.
Bien entendu, un tel programme est susceptible d’être quelque peu édulcoré à l’épreuve du réel si le RN ne dispose que d’une majorité relative et/ou dans le cadre d’une stratégie de “Melonisation” en vue de l’échéance présidentielle de 2027.
2b. Une Assemblée éclatée et une absence durable de budget
Si ce n’est pas notre scénario central, on ne peut toutefois exclure la possibilité que la nouvelle Assemblée soit tout aussi fragmentée que l’actuelle, ou qu’un RN ne disposant que d’une majorité relative refuse d’entrer à Matignon. La prolongation de la loi spéciale et l’absence durable de loi de finances entraînerait les conséquences suivantes :
Les barèmes d’imposition 2026 seraient gelés, ce qui équivaut à une modeste hausse de l’impôt en régime d’inflation.
L’essentiel des prestations sociales seraient automatiquement indexées sur l’inflation aux dates habituelles.
Les dispositifs fiscaux présentés comme temporaires dans la dernière loi de finances, telle que la contribution différentielle sur les hauts revenus ou la contribution exceptionnelle sur les bénéfices des grandes entreprises, ne pourraient vraisemblablement pas être reconduits, sous réserve de l’analyse du Conseil constitutionnel.
Concernant le fonctionnement de l’État, le gel des effectifs, des traitements et des nouveaux investissements continuerait de s’appliquer à tous les échelons de l’État, aussi longtemps qu’une loi de finances n’aurait pas été votée. L’extinction progressive de tout investissement public aurait, dans la durée, des conséquences récessives majeures pour l’ensemble de l’économie française.
Le risque de défiance des marchés
La fragmentation du paysage politique, et les obstacles qu’elle crée pour l’adoption de la loi de finances 2026, nous exposent au risque d’une perte de confiance des marchés. Les taux auxquels l’État français emprunte excèdent d’ores et déjà ceux de tous nos voisins, Italie comprise. Ceux-ci se répercutent inévitablement dans les coûts de refinancement du système bancaire et se transmettent - modulo certains effets de latence - à l’ensemble de l’économie (avec certains effets de latence). À cet égard, les taux pratiqués en matière de crédits à l’habitat, actuellement autour de 3,20 %, semblent voués à être ajustés à la hausse dans les semaines qui viennent.
On peut en outre redouter que ce climat d’instabilité ne finisse par freiner l’investissement des entreprises et la consommation des ménages, effets qui ne se manifesteront dans les statistiques qu’avec un certain décalage et risquent, par un phénomène de prophétie auto-réalisatrice, de compliquer encore la situation des finances publiques.
Trois points à retenir pour vos finances personnelles

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