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Les management packages remis en cause
Quand le législateur s'occupe de ce qu'il ne comprend pas
Jean-Denis Errard est journaliste financier depuis 44 ans. Il a notamment été directeur du journal Le Revenu, fondateur de la revue Droit & Patrimoine et chroniqueur aux Échos Week-End. Il est aujourd’hui rédacteur en chef de la revue Gestion de Fortune.
Une bien étrange duperie
Une proposition de loi vient d’être présentée par des députés, Olivier Marleix en tête, pour « réprimer pénalement les pratiques de surenchère d’intéressement dans les offres de reprise des entreprises » (n° 593, 19 novembre 2024). Le but de ces élus est de considérer comme un dangereux délinquant, passible de 5 ans de prison et de 1 M€ d’amende, celui qui propose ce que l’on appelle un management package à un ou plusieurs dirigeants d’une entreprise dans le cadre d’une opération de rachat ayant suscité plusieurs offres concurrentes. Cela - est-il expliqué dans la proposition de loi - dès lors que « cette promesse a pour objectif d’influer sur le processus de décision de l’entreprise ». Dit, plus trivialement, la loi assimilerait ces incentives à des pots de vins.
Une autre disposition de cette proposition de loi sanctionnerait pénalement le ou les cadres dirigeants qui solliciteraient ou accepteraient une offre de ce type.
Comme si le dit processus de décision était l’affaire des managers ! Quiconque s’intéresse à la vie des entreprises sait que de telles décisions relèvent strictement du pouvoir des actionnaires. Étonnante confusion.
Management package : kézaco ?
Les management packages sont un élément essentiel de la boîte à outils utilisée dans le cadre de reprises d’entreprises - tant par les fonds de private equity que dans le cadre d’opération de fusions-acquisitions - consistant à compléter la rémunération des décideurs clés de mécanismes de stock options leur permettant de monter au capital de l’entreprise en fonction de l’atteinte, par l’investisseur repreneur, d’objectifs de retour sur investissement.
Cet instrument permet, d’une part, d’aligner les intérêts de moyen terme entre le management et l’actionnaire et, d’autre part, de sécuriser une équipe en place qui connait déjà l’entreprise et/ou d’attirer de nouveaux talents pour relancer l’entreprise.
Déraisonnable
Ainsi des parlementaires voudraient assimiler à un truand le repreneur qui chercherait à se démarquer de possibles concurrents en motivant des cadres en place qui, par leur connaissance de l’entreprise et de son marché, peuvent aider à la redresser ou à pérenniser son développement. Si l’entreprise va mal, le bon sens économique n’est-il pas de leur donner des raisons de rester ? Comment peut-on considérer cela comme une infraction pénale ? Ou la justice doit-elle également assimiler tous les conseils de l’opération à des recéleurs ?
Les députés expliquent que, dans les très grandes entreprises, ces management packages « paraissent déraisonnables » car atteignant des dizaines ou des centaines de millions d’euros. Ainsi une incarcération serait justifiée par le caractère subjectivement déraisonnable des intéressements au capital qu’un entrepreneur juge nécessaire, dans l’intérêt de la société, d’accorder aux hommes clés ! Ce serait aux juridictions répressives d’examiner si ces packages sont en relation avec « la valeur professionnelle » de ces cadres ou « davantage proportionnées au montant de l’acquisition réalisée » ! Dit pudiquement, ce serait, affirme la proposition de loi, « des frais de l’opération » plutôt que de l’intéressement.
Celui qui veut prendre le contrôle d’une entreprise doit s’assurer que le capital humain qu’il a valorisé en faisant son offre ne va pas s’évaporer après la cession ! Comment faire autrement et en quoi le parquet financier est-il apte à juger de ce qu’est le niveau « raisonnable » permettant d’associer des cadres dirigeants au succès d’une telle opération ?
Intéressement ou conflit d’intérêts ?
Ces parlementaires déplorent que, lors d’offres concurrentes, il puisse y avoir une surenchère de promesses dont le résultat dépendrait non de l’intérêt de la société mais de l’égoïsme des bénéficiaires. La proposition de loi se présente, est-il expliqué, comme une réponse appropriée à la plainte pour corruption à l’encontre de deux cadres dirigeants de la société Atos auxquels le repreneur potentiel - le milliardaire tchèque Daniel Kretinski - a offert un intéressement très substantiel pour demeurer aux commandes de l’entreprise.
Bref, dans l’idée de ces élus, ce serait le pendant du délit de concussion des fonctionnaires (art. 432-10 du code pénal).
Le fait est que l’entreprise en question - Atos (110 000 collaborateurs) - va mal, qu’elle a besoin de capitaux mais également de cadres capables d’en faire bon usage pour sortir des difficultés dans lesquelles elle patauge depuis des années. Est-ce à la justice, en l’occurrence au parquet national financier, de mettre son nez dans de telles négociations sur le prix qu’un repreneur est prêt à payer ? Pourquoi pas alors proposer que celui qui ne demanderait pas une garantie de passif se rendrait coupable d’un délit ?
Que certains LBO soient frelatés, certes mais en quoi cela justifie-t-il de faire intervenir le parquet dans ce qui relève de la vie des affaires et des tribunaux de commerce ?
On voit bien que ce type de menace de plainte est une façon détournée et médiatisée de gêner un adversaire car en l’occurrence, en quoi cela concerne-t-il les actionnaires qui sont les vrais décideurs ? C’est eux que le cessionnaire doit convaincre de céder leurs actions. Ces parlementaires ne semblent pas comprendre ce qu’est, selon leur expression, le « processus de décision » ! Quelle duperie cette proposition de loi!