L'inflation sous toutes les coutures

Un merveilleux outil offert par l’Insee
C’est un cadeau inattendu que nous a offert l’Insee en ce mois d’août : un outil proposant une représentation graphique de l’inflation de janvier 2000 à aujourd’hui.
Saluons en particulier le choix de suivre un indice des prix plutôt qu’un chiffre annuel d’inflation : il traduit plus directement la façon dont l’inflation s’accumule au fil du temps sans jamais faire marche arrière. Ainsi une inflation de 6% en 2022 passée à 4% en 2023 constitue une hausse cumulée des prix de 10% en 2 ans (je vous fais grâce des intérêts composés) et en aucun cas un recul des prix.

On y voit le prix du panier de consommation moyen progresser de plus de 48% sur l’ensemble de la période, un chiffre autrement plus marquant que celui de l’inflation annuelle moyenne de 1,7%.
À livre ouvert
Mieux encore, cet outil permet de suivre isolément la façon dont les différentes composantes du panier se sont comportées.
On vérifie ainsi que les prix de l’alimentation sont restés très proches de ceux de l’inflation générale jusqu’en mars 2022, moment à partir duquel ils s’échappent spectaculairement à la hausse.

On y apprend que, contrairement à ce que l’on entend parfois, les loyers ont progressé légèrement moins vite que l’inflation générale (+1,5% par an). Vous ne me ferez pas pour autant applaudir les mesures de plafonnement des loyers qui ne font que créer les conditions d’une fuite des capitaux et donc d’une pénurie de logements (on en reparle très vite).

Le prix de l’habillement est resté remarquablement stable (+0,2% par an) lorsqu’on isole le bruit lié aux soldes saisonnières. On peut y voir l’effet, en apparence positif, de la mondialisation des échanges commerciaux dont le “vrai” prix a été, pour l’Europe, la disparition de son industrie textile.

L’ameublement peut entrer dans ce même registre d’une inflation modérée (+1,3% par an) payée au prix de notre désindustrialisation.
Inversement, un certain nombre de postes ont tiré l’inflation à la hausse d’une façon que l’on peut qualifier de structurelle, isolément de la période la plus récente. Ainsi de l’électricité (+3% par an) et du gaz (x3 avant même le début de la crise en Ukraine), de l’eau et du traitement des ordures et eaux usées (+2,5% par an), de la restauration (+2,2% par an).

Brouillard méthodologique
D’autres chiffres surprennent.
Ainsi des prix des produits et services médicaux qui sont en baisse de 11% depuis 2008, avant prise en charge par la Caisse Nationale d’Assurance Maladie ou les mutuelles, Le non-expert que je suis subodore le double effet des médicaments génériques et de la mondialisation des échanges qui, au demeurant, nous rendent dépendants de l’Inde pour des molécules aussi basiques que le paracétamol ou de la Chine pour nos masques sanitaires.
Mais le choix de mesurer l’évolution des prix avant prise en charge par la CNAM ou les mutuelles introduit un biais en ceci que l’économie de 11% n’est pas perçue par les ménages. Quand bien même cette économie aurait été répercutée dans les tarifs des mutuelles (ce qui ne semble pas avoir été le cas), ceux-ci sont déjà pris en compte dans le poste assurance (en hausse de 2,2% par an) et il y a donc double-comptabilisation.
Notons d’ailleurs que ce choix méthodologique contestable explique que l’inflation publiée par l’Insee soit presque systématiquement inférieure à l’Indice des Prix à la Consommation Harmonisé publié par Eurostat pour la France.

Et la plongée en absurdie ne fait que commencer !
Aviez-vous réalisé que le prix de vos matériels audiovisuels et informatiques avait baissé de 6,2% par an, soit divisé par 4,5 depuis janvier 2000 (attention au changement d’échelle sur ce graphe) ? Si, comme moi, vous n’avez pas ressenti cette baisse, c’est que l’Insee applique des “ajustements de qualité” dans le calcul de ces indices. Ainsi, même en l’absence d’une variation du prix réel, l’Insee considère que le PC que vous achetez aujourd’hui a un processeur plus rapide et plus de mémoire que celui que vous auriez acheté en l’an 2000, et que ce gain équivaut à une baisse de prix.
Ce raisonnement en chambre se heurte bien sûr à la réalité vécue par le consommateur. Je mets quiconque au défi de trouver aujourd’hui dans le commerce un PC neuf à 225 € permettant de remplir les fonctions bureautiques de base qu’un PC à 1 000 € aurait offert il y a 23 ans. Le progrès technologique nous est de facto imposé. A prix constants ou en hausse modeste, certes, mais il nous est imposé. L’option de “geler le progrès” pour payer moins n’existe pas pour le consommateur sur le moyen terme.

Le même biais méthodologique est à l’oeuvre en matière d’équipements et services de téléphonie et de communication, sur lesquels l’Insee mesure une baisse des prix de 40% depuis l’an 2000. Par contraste, dans le monde des mortels, le Nokia 3310, téléphone portable de légende, était lancé en octobre 2000 au prix de 300 €, à comparer à un i-phone 14 disponible aujourd’hui autour de 800 € en version de base (sans aller jusqu’à ses versions Plus ou Pro).

Idem du prix de nos voitures que l’INSEE voit en hausse de seulement 33% sur la période, après ajustements de qualité. Dans la vraie vie, le prix catalogue du modèle de base de Peugeot 206 était de 10 450 € en 2000 contre 19 200 € pour son équivalent actuel, soit +84%.

Les ajustements de qualité opérés par l’Insee constituent dans le meilleur des cas une impasse intellectuelle, et ce à plusieurs titres :
La conversion d’une “unité” de qualité en valeur monétaire est par essence subjective et non-objectivable. Elle sera, par exemple, importante pour moi en matière d’informatique mais proche de nulle en matière d’automobile. Et pour vous, peut-être l’inverse.
Dès lors que le consommateur conserve le choix entre une technologie plus ancienne et une nouvelle, un tel ajustement semble défendable. Après tout, si je décide de déjeuner dans un restaurant étoilé plutôt que dans un fast food, l’augmentation de la note relève d’un choix personnel et non de l’inflation. Mais dès lors que la technologie plus ancienne n’est plus commercialisée, celle qui l’a remplacée devient une consommation contrainte qui doit entrer dans le panier moyen sans retraitement d’aucune sorte.
On ne peut s’abstraire du fait que, dans le regard des consommateurs, le chiffre officiel d’inflation est mis directement en perspective de la progression de leurs revenus. Si le premier est ajusté d’une progression de qualité non-objectivable, chaque Français peut symétriquement considérer que la progression de ses revenus est essentiellement attribuable à sa montée en expérience et en compétences et ne constitue donc pas une inflation salariale. Nous entrons alors dans un espace relativiste où, tous repères étant perdus, le dialogue social devient impossible.
L’Insee, qui brille habituellement par sa transparence - comme en atteste d’ailleurs l’existence de cet outil - n’a plus publié d’étude quant aux impacts de ces ajustements de qualité sur l’indice des prix depuis 2004…
Votre costume en grande mesure

De mon expérience de modélisation financière (à des fins de valorisation d’entreprises et de gestion de bilan bancaire), j’ai appris à me garder du risque de sur-ingénierie. Lorsqu’un élément de l’équation économique n’est pas modélisable avec un degré de confiance suffisamment élevé, il est toujours préférable de l’isoler et de le laisser au jugement de chacun, plutôt que de risquer de compromettre la fiabilité de la vue d’ensemble.
Et c’est l’ultime bonne surprise de l’outil offert par l’Insee que de permettre de personnaliser l’indice des prix pour refléter vos propres schémas de consommation.
J’ai donc fait le choix de dépolluer l’indice des composantes que je juge méthodologiquement douteuses. Ainsi, l’indice des prix dépollué des composantes santé (9% du total), biens durables de loisir (1,9%), communication (2,5%) et automobile (4,2%) fait ressortir une inflation annuelle de 2,9% sur longue période (vs chiffre officiel de 1,7%) et de 5,3% sur les 12 derniers mois (vs chiffre officiel de 4,3%).

Cette vision, qui reste bien entendu ouverte au débat et à la contradiction, implique que le régime monétaire de répression financière (taux directeurs inférieurs à l’inflation) en vigueur en Europe depuis 2012 est beaucoup plus sévère encore que ce que les chiffres d’inflation officiels laissent transparaître.
Lorsqu’il s’établit dans la durée, un tel régime se traduit par des transferts de richesse importants entre différents types d’acteurs économiques ainsi qu’une allocation sub-optimale du capital qui nuit à l’ensemble de l’économie. Sans doute l’objet d’un futur article…