Inversion de la courbe des taux américaine
Canari dans la mine ?

Flash info
L’inversion de la courbe des taux américaine, observée depuis un an, est désormais la plus marquée que l’on ait connue depuis le début des années 1980.
Inversion de courbe des taux : kézaco ?
L’inversion d’une courbe des taux est une période du cycle économique, rare et le plus souvent brève, pendant laquelle le prix de l’argent à long terme (les “taux longs”) devient inférieur à son prix à court terme (les “taux courts”). On mesure habituellement cet écart en comparant le taux de l’emprunt d’État à 10 ans avec celui de l’emprunt d’État à 2 ans.
Pourquoi s’en préoccuper ?
Pour une raison simple : son pouvoir prédictif. Le graphique ci-dessous suit l’écart de taux entre l’emprunt d’État américain à 10 ans et celui à 2 ans. Notez comment chaque inversion de courbe - quand le graphe passe en territoire négatif - est annonciatrice d’une période de récession (fond grisé sur le graphe) dans les 2 ans qui suivent. Et nous aurions pu remonter ainsi jusqu’en 1928, où une inversion de même ampleur que celle que nous connaissons actuellement annonçait la dépression des années 1930-1933.

De 1928 à nos jours, cet outil prédictif n’a produit qu’un seul faux positif (inversion non-suivie d’une récession), en 1966. La relation se vérifie également dans l’autre sens, toutes les périodes de récession ayant été annoncées par une inversion dans les deux années qui précédaient.
A kind of magic ?
Non, rien de magique en réalité. Pour comprendre le pouvoir prédictif de l’inversion de la courbe de taux, il faut comprendre précisément comment une telle situation se forme…
La réalité économique obéit à des principes fondamentaux qui se rapprochent souvent des lois de la physique (mécanique des fluides, physique ondulatoire…).

Représentez-vous la courbe des taux comme une corde.
À l’extrémité gauche (court terme), la banque centrale, qui détermine le prix de l’argent à 24H, tel qu’il s’applique au système bancaire et, par propagation, aux autres acteurs économiques. A l’autre extrémité (long terme), les investisseurs et emprunteurs qui se positionnent sur l’opportunité d’immobiliser (ou d’emprunter) des capitaux à 10 ans (typiquement, du côté de l’offre de capitaux, des compagnies d’assurance et des fonds de pension qui, indirectement, représentent les épargnants et, du côté de la demande, les États, les entreprises et les accédants à la propriété).
La banque centrale a le pouvoir de donner des impulsions, à la hausse ou à la baisse, à l’extrémité gauche.
Mais à l’autre bout, investisseurs et emprunteurs se comportent librement. Les taux long se déterminent en fonction de leurs projections d’inflation, au degré 1, et des futures impulsions qu’ils anticipent de la part de la banque centrale dans les mois et années qui viennent, au degré 2.
Ainsi, une inversion de la courbe des taux correspond presque invariablement à une situation où la banque centrale a donné une forte impulsion à la hausse sur les taux courts en réponse à une perception de surchauffe de l’économie et où le marché anticipe un effet de refroidissement rapide qui permettra, à terme, à la banque centrale d’abaisser de nouveau ses taux.
Et nous entrons là dans le domaine des prophéties auto-réalisatrices. Quand le consensus de marché est que l’économie va ralentir sous l’effet du resserrement monétaire engagé, les acteurs économiques adaptent leurs comportements en conséquence. Les entreprises diffèrent leurs projets d’investissement et recrutent moins. Les ménages épargnent plutôt que de consommer. Si bien que dans les mois qui suivent, pour peu que la banque centrale ait surdosé la hausse de ses taux directeurs ou sous-estimé les effets d’entraînement, l’économie entre dans une phase de récession.
Dans le mille ?
Telle le canari dans la mine dont la fin du chant signalait la présence de gaz toxique, cette inversion de la courbe des taux américaine nous condamne-t-elle à coup sûr à la récession ?

Ce serait trop simple. Dans le monde réel, d’autres facteurs - politiques, géo-politiques, sanitaires - viennent s’entrechoquer pour déjouer les prévisions.
Quand ce ne sont pas les banques centrales elles-mêmes qui décident de changer les règles du jeu… Ainsi du quantitative easing (2009-2021 aux États-Unis et en Europe), par lequel nos banques centrales s’autorisaient à saisir l’extrémité droite de la corde (en acquérant des titres de dette) de façon à maintenir les taux longs artificiellement bas. On ne peut exclure que ces pratiques “non-conventionnelles” aient déréglé notre système monétaire au point que le canari en ait perdu la voix…
Enfin, notons que le phénomène d’inversion de la courbe est encore peu marqué en Europe, où le taux de l’emprunt d’État français à 10 ans n’est inférieur à celui de l’emprunt à 2 ans que de 0,10 pt.
À suivre avec attention…