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Innover pour démocratiser le logement

Défis techniques et politiques

Sophie Saraga est broker en immobilier, formée à l’urbanisme au CNAM, enseignante et journaliste.

Le 2 octobre, nous fêtions la journée mondiale de l’habitat et des économies urbaines résilientes. Le défi posé est clair : offrir à nos citoyens des logements décents en nombre suffisant, proches des bassins d’emploi, dans des conditions compatibles avec nos objectifs environnementaux. Comment la France y répond-elle ?

Une industrie du logement déboussolée

La succession de crises depuis 15 ans (subprimes, réchauffement climatique, Covid, guerre en Ukraine, inflation, hausse des taux) oblige l’État à repenser ses modèles normatifs et réglementaires et le secteur du logement dans son ensemble à repenser ses modèles économiques.

Pour répondre aux enjeux de la crise du logement à court terme et afin d’éviter l’effondrement du secteur, la Caisse des dépôts et Action Logement ont ainsi dû racheter 47.000 logements en cours de chantier aux promoteurs privés, signant l’échec patent des politiques publiques des vingt dernières années. A l’heure où le crédit a retrouvé un coût, se loger devient progressivement le privilège d’une poignée de Français. Et pourtant, dans le même temps, l’Insee annonce 3,1 millions de logements vacants en France.

La fondation Abbé Pierre recense quant à elle 1 million de personnes privées de logement et 3,4 millions de personnes vivant dans des conditions de logement très difficiles.

Dans sa dernière étude, Habitat Territoires et Conseil (Union Sociale pour l’Habitat) évalue le besoin de construction de nouveaux logements à 518 000 logements par an entre 2024 et 2040.

Enfin, face à la rénovation énergétique à marche forcée voulue par la Loi Climat et Résilience votée en Août 2021, Hervé Charrue, Directeur Général Adjoint du Centre scientifique et technique du bâtiment, souligne avec pragmatisme, lors de son audition par l’Assemblée Nationale, le fait que nous n’avons pas une bonne connaissance du parc de logements, que nous manquons de vision en mode « gestion de projet » et appelle à évaluer les externalités de cette politique, notamment en matière de santé publique.

Pas de diagnostic, pas de gouvernance adéquate, pas de remède. Mais où est la boussole ? La restitution par Elisabeth Borne du Conseil National de la Refondation dédié au logement, le 5 juin 2023, laisse craindre qu’il n’y en ait pas.

A l’heure de la massification illusoire de la rénovation énergétique des bâtiments, l’Institut Paris Région estime dans une note d’octobre 2022 que « La moitié des biens en location sont menacés d’exclusion du parc locatif s’ils ne sont pas rénovés d’ici 2034. »

La sentence est sans appel : le taux de disponibilité des biens s’effondre et les parcours résidentiels deviennent des nasses plutôt que des sas. Selon Meilleurtaux et Bien’ici, seules 14% des annonces immobilières publiées au 1er semestre 2023 concernaient des logements à la location contre 25% les années précédentes.

Et le sparadrap du plafonnement de l’indexation des loyers à 3,5%, mis en place en octobre 2022, n’y changera rien. Ainsi à Paris ou Marseille, la hausse des loyers est de respectivement 5,1% et 5,7% sur un an !

On assiste donc au gel des parcours résidentiels et à une accélération des défaillances de professionnels : agences immobilières, courtiers en crédit, promoteurs, constructeurs de maisons individuelles…

Photographie : Ina Hoekstra

Le Plan Local d’Urbanisme : un document structurant pour la transition écologique du logement

Parce qu’elles ont la main sur les PLU en vertu du principe de subsidiarité, les communes ont un rôle crucial à jouer, d’une part dans la résolution de la situation de pénurie de logements qui touche les grands bassins d’emploi et d’autre part dans la déclinaison locale des principes posés par la loi Climat et Résilience de 2021.

Les phénomènes d’ilots de chaleur, en particulier, sont une menace face à laquelle nos grandes métropoles se doivent d’adapter les pratiques d’urbanisme.

La ville de Paris nous donne ainsi une illustration de l’évolution possible des PLU dans les années qui viennent. Après deux années d’étude et de consultation, un nouveau PLU qualifié de bioclimatique a été arrêté le 5 juin 2023 en Conseil de Paris devant entrer en application en 2025.

Il formule l’objectif d’une ville neutre en carbone à l’horizon 2050 ainsi qu’une stratégie de “développement et amélioration de l’offre de logements” visant une proportion de 30% de logements sociaux et de 10% de logements publics abordables d’ici 2035.

Photographie : edmondlafoto

Ce nouveau PLU prévoit tout d’abord l’interdiction des nouveaux hébergements touristiques dans une zone couvrant les arrondissements I à XI ainsi que Montmartre.

La ville compte ensuite s’appuyer sur l’utilisation renforcée du “pastillage” afin de réserver un millier d’emplacements à des projets de transformation en logements ou en espaces verts. Les terrains concernés seront grevés d’une servitude de mixité sociale obligeant les propriétaires, en cas de construction neuve ou de travaux de restructuration, à affecter une partie des surfaces au logement social. Une obligation de 30% de logements sociaux s’imposera également à tout projet de création de surfaces d’habitation de plus de 500 m2 (contre 800 m2 jusqu’à présent).

Enfin, ce PLU bioclimatique définit 20 orientations d’aménagement et de programmation (7 thématiques et 13 sectorielles) : des documents qui décrivent les attentes de la ville en matière de projets d’urbanisme.

Des collectivités engagées dans la construction de nouveaux outils 

Avec l’entrée en vigueur progressive du principe du Zéro Artificialisation Nette, la question de la vacance structurelle de logements devient un enjeu majeur qu’il convient d’étudier et de traiter à l’échelon local. Tous les territoires ne se ressemblent pas.

Les 3,1 millions de logements vacants recensés par l’Insee correspondent à un taux de vacance de 8,3% à l’échelle nationale. Un taux compris entre 5% et 7% est généralement considéré comme une vacance frictionnelle incompressible (logements en cours de succession, de vente, de location, travaux, etc). Il existe donc, dans certains territoires, une vacance structurelle qui, pour les collectivités locales, peut constituer un levier pour répondre aux besoins de logement tout en revitalisant leurs centre-bourgs avec notamment l’opération « Action cœur de ville ». Deux enjeux qui ont partie liée : pas de consommateur, pas de commerces, pas de collecte d’impôts.

Face à ce constat, les Plans départementaux de l’habitat éditent des guides afin de diffuser les bonnes pratiques de remobilisation du foncier disponible. C’est ainsi que le département du Vaucluse a mis en place une véritable stratégie de lutte contre la vacance en croisant les données de l’Insee, de Filocom et des fichiers « logements » et « populations » des IRIS, indicateurs clés du traitement des mobilités résidentielles à l’échelle fine.

En conclusion, bien que l’on puisse regretter qu’il n’existe pas de base de données unifiée permettant de quantifier les sources de vacance sur les différents territoires, il convient de noter les excellentes synergies et recherches sur le sujet qui permettent d’outiller progressivement les collectivités pour lutter contre ce phénomène.

La résorption du déficit structurel de logements passera inévitablement par la construction de logements neufs. Mais d’autres solutions peuvent également y contribuer.

La surélévation des bâtiments

La surélévation de bâtiments existants présente l’immense avantage de créer des surfaces de logement sans artificialisation supplémentaire des sols.

Ces opérations ont un cycle de vie d’environ 3 ans de l’étude de structure et de sol jusqu’à la livraison des appartements. De nombreuses conditions doivent être réunies, tant sur le plan technique que juridique et financier.

Les Agences Départementales d’Information sur le Logement (ADIL) ainsi que les Conseils d’Architecture, d’Urbanisme et de l’Environnement (CAUE) accompagnent les copropriétaires dans ces démarches. Intervenir sur des opérations lourdes de construction en site occupé n’est pas une mince affaire.

Dès lors qu’il s’agit d’habitat collectif, les conditions de vote et de destination de l’immeuble doivent être réunies. Toutefois, la loi ALUR de 2014 a assoupli les règles de gouvernance en permettant qu’un tel projet ne soit approuvé qu’à la majorité simple de l’assemblée générale de copropriété plutôt qu’à l’unanimité. Un permis de construire est bien entendu requis ainsi que, en secteur ABF, l’autorisation de l’Architecte des Bâtiments de France.

Le coût moyen d’un tel projet étant de l’ordre de 3.000 € au m2, de nombreuses copropriétés choisissent de monétiser leur droit à construire auprès d’un promoteur immobilier. Cela peut notamment permettre de financer la rénovation énergétique globale de l’immeuble au sein d’un seul et même projet. Cela passe par la création de lots privatifs, par une nouvelle répartition des tantièmes et des charges générales et spéciales et entraîne de facto des modifications de l’état descriptif de division et du règlement de copropriété.

Ces opérations de densification de la ville sur la ville sont encore rares alors qu’elles bénéficient de nombreux dispositifs d’aides : TVA à 5,5%, Eco PTZ, MaPrimRénov’ pour ne citer que les principaux.

Réversibilité des bâtiments 

En France, près de 800 opérations de transformation de bureaux en logements sont autorisées chaque année. 

Selon une note de l’Atelier Parisien d’Urbanisme, de 2013 à 2021, les opérations de transformation en faveur du logement ont représenté en moyenne 1.900 logements autorisés par an en Île de France, pour une surface de 97.000 mètres carrés convertis annuellement.

Pourtant, 4,6 millions de m² de bureaux franciliens sont actuellement vacants. Selon la dernière étude JLL, la vacance des bureaux franciliens atteint désormais 8,3% avec un volume placé en chute de 12% d’une année sur l’autre.

Certains immeubles pâtissent d’une vacance dite “durable”. Essentiellement localisés en petite et grande couronnes, ils représentent un enjeu grandissant pour les collectivités en termes d’image, de recettes fiscales et de pertinence de l’usage de l’espace urbanisé.

Note No 963 de L’Institut Paris Région par Emmanuel Trouillard et Clément Quatrain

Le décret tertiaire appuie cette dynamique de conversion du parc de bureaux vieillissant en imposant que tout actif ou ensemble d’actifs mixtes dont une surface de 1.000 m² au moins est dédiée au tertiaire fasse l’objet de travaux de rénovation énergétique.

Bouygues a ainsi lancé une offre dédiée à la conversion de bureaux en logements (Coverso) et se donne pour objectif la création de 500 logements en 2025.

Rue Mouzaïa, à Paris, c’est une opération mixte de 288 logements étudiants dont une partie en colocation, en espace de coworking et en ateliers d’artistes qui redonne vie à un bâtiment emblématique à l’architecture brutaliste. A Pantin, Immobilière 3F a transformé 5.000 m² de bureaux en 70 logements. À Charenton et Saint-Denis, des programmes de reconversion voient également le jour.

Enfin, l’Etablissement Public d’Aménagement Euratlantique à Bordeaux a créé l’événement en lançant un permis d’innover pour l’Opération d’Intérêt National TEBiO, bâtiment de 4.500 m², sans destination. En effet, la validation, le 23 Mai dernier, du dispositif dérogatoire expérimental par Canal Architecture (maître d’oeuvre), le Groupe Elithis (maître d’ouvrage) et EPA Euratlantique (aménageur) permet d’envisager tous les usages en s’appuyant sur la Loi ESSOC qui instaure le principe de « droit à l’erreur ». Le permis d’innover est une révolution en marche.

Projet TEBiO, Bordeaux.

Le logement intercalaire

Autre révolution, le dispositif d’urbanisme transitoire de mise à disposition temporaire de locaux vacants, institué à titre expérimental par l’article 101 de la Loi Molle de 2009 et renouvelé par l'article 29 de la loi ELAN de 2018.

Il vise l’occupation temporaire à des fins de préservation et de sécurisation de lieux vacants : bureaux, habitat collectif ou individuel, dont le projet futur peut être une vente, une réaffectation ou une réhabilitation, et qui « se trouvent ainsi exposés à des risques de dégradation ou d'occupation sans titre ».

Des associations telles qu’Aurore ou Caracol signent des contrats de partenariats avec des bailleurs sociaux tel ICF Habitat La Sablière, des institutionnels comme la Fondation MACIF ou des propriétaires privés, visant à offrir des solutions de logement transitoire à des personnes en situation de précarité (femmes isolées, jeunes parents, intermittents du spectacle, étudiants, demandeurs d’asile). A la faveur d’un agrément de l’État, ces associations élargissent les possibles pour traiter la vacance, qu’elle soit conjoncturelle ou structurelle, par des conventions d’occupation temporaire dont les parties définissent le délai de sortie.

Cependant, tous les types d’actifs ne peuvent être validés par les associations en raison du coût parfois très élevé des travaux de remise aux normes requis.

Face à l’ampleur du défi posé au logement et à l’urbanisme, les lignes bougent. Le rapport remis par Jean-Luc Lagleize à Édouard Philippe et Julien Denormandie sur la maîtrise des coûts du foncier dans les opérations de construction en en est un signe. Tous les sujets y sont mis sur la table. Nous retenons en particulier la proposition 21 : « Inciter les élus locaux à délivrer des permis de construire à des projets utilisant pleinement les possibilités offertes par le plan local d’urbanisme (…) par le versement conditionnel d’une prime de constructibilité incitative ».

Saluons la créativité et l’audace à l’œuvre aujourd’hui et débloquons les freins normatifs afin de mettre l’expérimentation et l’innovation au service de la ville de demain. Le temps presse !

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Sources et bibliographie