Gros temps pour les réseaux bancaires français
Infortunes contrastées

La communication financière est feutrée, les éléments de langage bien maîtrisés. Mais pour qui sait décrypter la comptabilité bancaire, les résultats publiés par les banques françaises ces derniers jours au titre du 1er semestre 2023 montrent que tout n’a pas été rose pour le métier de banque commerciale sur le territoire français qui est le cœur historique de chacune de ces entreprises.
Des revenus lourdement affectés par la hausse des taux
Les Produits Nets Bancaires (équivalent bancaire du chiffre d’affaires) sont en recul généralisé. Si la baisse reste relativement contenue au Crédit Mutuel, à la BNP et au Crédit Agricole, elle atteint 10% à la Société Générale, 12% aux Banques Populaires et 15% aux Caisses d’Épargne.

Pour comprendre ce qui est à l’œuvre, il faut s’intéresser à la Marge Nette d’Intérêts, qui mesure la marge captée par une banque dans son métier de transformation de l’épargne (rémunérée à un certain taux) en crédits (rapportant un taux supérieur). Celle-ci est en baisse de 18% à la Société Générale, de 25% aux Banques Populaires et de 34% aux Caisses d’Épargne ; des chiffres qui traduisent un phénomène d’une violence rarement vue dans le milieu bancaire.
C’est bien sûr la hausse des taux qui est en cause, et particulièrement celle de l’épargne réglementée. Le taux du Livret A passé de 1 à 3% ou celui du Compte Épargne Logement passé de 0,75 à 2%. Et à cet égard, les Caisses d’Épargne sont le réseau dans lequel le poids de l’épargne réglementée est le plus lourd (58% de la base de dépôts vs. 28% pour BNP Paribas), rémanence de l’époque où elles avaient, avec la Poste et le Crédit Mutuel, le monopole de la distribution des Livrets A.
La remontée des taux servis par les OPCVM monétaires a également contraint les banques à pousser les feux sur l’offre de dépôts à terme afin de conserver suffisamment de ressources pour financer leurs activités de crédit.
Les taux des nouveaux crédits ont certes été progressivement relevés mais il faudra plus de 20 ans pour renouveler intégralement le stock des crédits existants. En cela, le modèle français de taux fixes sur durées longues, vertueux et protecteur pour les emprunteurs, crée, en cas de choc de taux, une asymétrie dans les bilans bancaires qui n’est pas facile à gérer.
Une question, cependant, demeure. Pourquoi de tels écarts d’évolutions de revenus entre des Caisses de Crédit Agricole et des Caisses d’Épargne dont les structures de dépôts sont pourtant assez proches ? Idem de BNP Paribas comparée à Société Générale. Les commentaires apportés par BNP Paribas dans un document de 84 pages nous mettent sur la voie, faisant état de “l’apport des couvertures inflation”. Il est impossible d’en connaître l’impact sur la base des documents disponibles mais il semble bien que certaines directions financières s’étaient couvertes contre le risque de remontée des taux (au moyen de swaps ou d’options) et d’autres pas.
Des coefficients d’exploitation qui posent question
Sans surprise, avec de tels vents contraires et dans un environnement inflationniste, aucun des 6 grands réseaux ne parvient à réduire ses charges à proportion de la baisse des revenus. Il en résulte une augmentation généralisée des coefficients d’exploitation (l’indicateur mesurant le rapport des charges aux revenus).

Les charges d’une banque étant pour l’essentiel liées à la masse salariale et aux moyens informatiques, on peut faire l’hypothèse que les écarts observés sur les coefficients d’exploitation sont imputables à des différences d’efficience organisationnelle et/ou technologique.
Dans le métier de banque de détail, un coefficient d’exploitation supérieur à 75% est généralement considéré comme problématique et le franchissement du seuil de 80% appelle en principe une demande d’actions correctives de la part de l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution.
Un coût du risque qui, bien qu’en hausse, reste faible
Le coût du risque (correspondant aux pertes ou anticipations de pertes sur les crédits octroyés) est en hausse sensible dans la plupart des réseaux à l’exception notable des Banques Populaires et des Caisses d’Épargne. En tout état de cause, celui-ci reste pour toutes les banques à un niveau faible, inférieur à 0,20% de l’encours de crédit (annualisé).
Une rentabilité sérieusement amputée
Dans un tel contexte, les réseaux bancaires français enregistrent de forts reculs de leurs résultats d’exploitation, s’échelonnant de -21% (Crédit Mutuel) à -52% (Société Générale).

Pourquoi ne pas s’inquiéter…
Les banques françaises sont parmi les mieux capitalisées au monde, avec des ratios de solvabilité globale supérieurs à 17% (mesurant le rapport des fonds propres aux actifs pondérés en fonction de leur niveau de risque). Même par ces vents contraires, elles restent rentables et leur solidité n’est aucunement mise en cause.
… et pourquoi s’inquiéter
Depuis la crise financière de 2008, les banques françaises ont dû doubler le niveau de leurs fonds propres ramenés aux risques pondérés. Face au recul de leurs résultats, leurs actionnaires peuvent s’interroger quant au rendement offert sur les fonds propres réglementaires immobilisés (RONE : Return on Normative Equity).
Malheureusement, seule la Société Générale a communiqué sur ce ratio à l’occasion de la publication de ses résultats semestriels, faisant ressortir un retour sur capital inférieur à 7% pour son activité en France. Par extrapolation, il est vraisemblable que certains acteurs sont désormais en-dessous de 5%.
S’ils devaient perdurer, ces niveaux de rentabilité trop faibles nous condamneraient à une réduction progressive de l’offre de crédit, et plus largement de l’offre bancaire. Les principaux acteurs étrangers se sont déjà retirés du marché français de la banque de détail. Et pour la Société Générale et BNP Paribas, ce métier ne contribue plus, respectivement, que pour 23% et 8% des résultats consolidés.
Indépendamment des vertus du modèle de mutualisme bancaire que nous avons cultivé, la réduction du paysage concurrentiel à seulement trois acteurs (Crédit Agricole, Crédit Mutuel et BPCE) - qui est en cours à bas bruit - n’est pas saine pour l’économie française.
Précisions méthodologiques
La Banque Postale, ne publiant que des comptes agrégés avec ceux de la CNP, n’a pu être incluse dans cette étude.
Dans le cas de BNP Paribas, un montant négatif de -833 M€, correspondant à l’impact sur le 1er semestre 2023 du changement des modalités du TLTRO, annoncé en décembre 2022 (passage sur un taux révisable des refinancements offerts par la Banque centrale européenne) a été isolé comme élément exceptionnel. Afin de ne pas introduire de biais de comparaison avec les autres banques, qui n’ont pas procédé à un tel retraitement, nous avons fait le choix de réintégrer cet élément négatif dans le Produit Net Bancaire, au prorata du poids relatif du réseau français dans le PNB du métier de banque commerciale en Europe (soit 25%).