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Fin du "Quantitative Tightening" : mesure technique ou prémices d'une nouvelle crise financière ?
Le 29 octobre, la banque centrale américaine annonçait l’abaissement de son taux directeur de 4 % à 3,75 %, décision très largement commentée dans la presse économique. Dans ce même communiqué, la Fed informait qu’elle mettrait fin, à compter du 1er décembre, à la réduction de ses volumes de portage d’actifs financiers (Quantitative Tightening). Cette mesure technique, plus difficile à appréhender, est une réaction aux tensions de liquidité qui sont apparues ces dernières semaines dans le système financier américain. Elle illustre la difficulté à pleinement dénouer la politique d’assouplissement quantitatif introduite en 2008.
QE, QT : retour sur 17 années de politique monétaire non-conventionnelle
Une banque centrale, classiquement, module sa politique monétaire en jouant sur les taux directeurs auxquels elle permet aux banques de déposer leurs excédents de trésorerie ou d’emprunter sur des maturités courtes (jusqu’à 90 jours) à sa fenêtre de refinancement (discount window). Elle peut ainsi manipuler la partie courte de la courbe des taux afin de ralentir ou, au contraire, de relancer la demande de crédit des acteurs économiques et, partant, le rythme de fonctionnement de l’économie tout entière.
Les taux longs, en revanche, restent librement déterminés par la loi de l’offre et de la demande sur le marché du crédit (bancaire et obligataire). La demande de crédit de l’État, au travers de son rythme d’émission de bons du trésor est une composante essentielle de cette équation. Ainsi, les déficits publics, lorsqu’ils sont très élevés, contribuent à tirer les taux longs à la hausse, étouffant progressivement la demande de crédit des ménages et des entreprises.
Le Quantitative Easing (QE) – assouplissement quantitatif – est une politique monétaire non conventionnelle utilisée par une banque centrale qui vise à éviter cet effet en injectant durablement des liquidités dans l'économie au travers de l'achat d’actifs financiers, principalement des titres de dette publique, sur les marchés primaires ou secondaires. Cette opération augmente la masse monétaire, abaisse artificiellement les taux longs et redynamise la demande de crédit des acteurs privés, stimulant la croissance économique et évitant la déflation.
D’abord expérimenté au Japon à partir de 2001, le QE est déployé par la Fed à l’automne 2008, au cœur de la grande crise financière déclenchée par l'effondrement du marché immobilier, du marché des subprimes et de la faillite de la banque d’affaires Lehman Brothers. Il se traduira par le doublement quasi-instantané du bilan de la banque centrale américaine (à environ 2.000 Md$) et s’intensifiera jusqu’en 2014 (4.500 Md$).
Une première tentative de dénouement progressif du QE – ou Quantitative Tightening (QT) – interviendra à partir de 2018 avant d’être mise en pause à l’automne 2019 suite aux tensions de liquidité engendrées dans le système financier (déjà).
La planche à billets du QE sera ressortie à l’occasion de la pandémie de Covid, portant le bilan de la Fed à 9.000 Md$ début 2022, suivi par une nouvelle phase de resserrement (QT) à partir de l’été 2022.
Le rôle des banques et le marché des repos
Les banques sont la principale courroie de transmission par laquelle le QT peut intervenir. Afin de réduire son empreinte, la banque centrale cède dans le marché des titres obligataires qu’elle avait précédemment acquis (ou se garde de renouveler des titres arrivant à échéance, ce qui revient financièrement au même). Ses titres entrant le plus souvent dans la définition des actifs hautement liquides (HQLA) concourant au ratio de liquidité réglementaires des banques (Liquidity Coverage Ratio de la réglementation bâloise) tout en étant mieux rémunérés que de simples excédents de trésorerie, celles-ci s’en portent acquéreuses à hauteur de leur trésorerie disponible au fur et à mesure que la banque centrale s’en allège.
Afin de rester suffisamment manœuvrantes face aux aléas de leur trésorerie opérationnelle, les banques s’appuient sur le marché des repos (repurchase agreements, ou pensions livrées en bon français). Ce marché leur permet d’utiliser leurs portefeuilles obligataires comme garantie (collateral) afin d’emprunter des liquidités sur une durée courte (le plus souvent sur quelques jours seulement mais pouvant aller jusqu’à un an). Parce qu’ils offrent une sécurité renforcée, les repos ont depuis 2008 virtuellement remplacé le marché de la liquidité interbancaire en blanc. Les fournisseurs de liquidité sont le plus souvent d’autres banques ou acteurs du système financier (compagnies d’assurance, fonds de pension, fonds monétaires…) cherchant à mettre leurs excédents de trésorerie au travail avec une prise de risque minimale.
Or, depuis quelques semaines, ce marché des repos montre des signes de tension sous la forme de pics de taux intra-mensuels inhabituels, réminiscents de ceux observés à l’automne 2019, sans être toutefois aussi élevés.
Quand le dentifrice ne rentre plus dans le tube
Une telle situation ne met pas en péril le système bancaire qui, en dernier recours, peut obtenir les liquidités manquantes au guichet de la banque centrale (discount window). Mais elle traduit l’assèchement progressif de la liquidité du système financier, au fur et à mesure que la Fed réduit sa taille de bilan. Ses cessions d’actifs intervenues depuis 2022 ont épongé les excédents de liquidité immédiatement disponibles, indiquant qu’une poursuite du QT nécessiterait que les acteurs de la chaîne liquident d’autres actifs et ralentissent leurs activités de crédit.
Après une première phase relativement indolore, nous sommes ainsi au stade où le resserrement monétaire causerait des effets symétriques à ceux du QE, à savoir un dégonflement du prix de certains actifs (actions, obligations, immobiliers) doublé d’un credit crunch. Le dentifrice de la création monétaire supposément temporaire engendrée par la politique de Quantitative Easing ne rentre plus dans son tube.
En stoppant le QT, la Fed reconnaît implicitement que la stabilité du marché monétaire constitue une condition préalable à toute poursuite de la normalisation. Cette inflexion pourrait marquer le début d’une nouvelle phase : celle d’un pilotage plus fin de liquidité du système financier, où les considérations de sécurité financière l’emportent sur l’orthodoxie de la contraction du bilan.



