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L'encadrement des loyers : leçons suédoises

Une intention louable

Le logement est, avec l’alimentation, un besoin essentiel à la base de la pyramide de Maslow. A ce titre, il est naturel qu’il représente une part importante du budget des ménages. En 2021, selon l’Insee, les locataires de logements privés (hors logement social) y consacraient 28,6% de leurs revenus.

Dès lors, il est parfaitement légitime que l’État protège les locataires de bailleurs qui pourraient, lorsque l’offre de logements est insuffisante, chercher à monétiser des rentes abusives.

Néanmoins, de telles mesures, quand elles outrepassent la simple fonction de garde-fous, peuvent avoir sur le temps long des effets secondaires catastrophiques.

Il n’est jamais inutile de tirer les enseignements des erreurs de politique économique de nos voisins. Faites vos valises, nous partons pour la Suède !

80 ans d’Histoire

L’encadrement des loyers a été mis en place en Suède en 1942. Bien que les modalités de cet encadrement aient quelque peu évolué au fil des années, la Suède reste à ce jour le pays en Europe où l’encadrement des loyers est le plus draconien.

L’évolution des loyers des logements privés y est fixée au travers d’une négociation collective entre représentants des locataires et représentants des bailleurs. Mais les dés de cette négociation sont pipés, en ceci qu’en l’absence d’accord, aucune augmentation de loyer ne peut être appliquée sans intervention de la justice qui doit alors valider la “valeur d’utilité” du logement, une procédure longue, éminemment hasardeuse et coûteuse.

Après 80 années de ce régime, on estime que les loyers suédois sont aujourd’hui inférieurs d’environ 50% à ce qu’ils seraient dans un marché libre.

Sans surprise, la rentabilité offerte à l’investisseur étant très faible, le parc locatif privé a fondu et 93% des Suédois vivent dans des communes rapportant un déficit de logements.

À Stockholm, afin de gérer la pénurie d’appartements à louer, une liste d’attente a été instituée par la municipalité déterminant par l’antériorité qui peut se porter candidat à la location des appartements arrivant sur le marché. Les jeunes Suédois s’y inscrivent le jour même de leurs 18 ans. Plus de 700 000 habitants (sur une population de 975 000) sont ainsi “en attente” pour moins de 10 000 logements mis en location chaque année.

Les heureux élus accédant aujourd’hui à un logement ont dû patienter, en moyenne, une dizaine d’années. Ce temps d’attente est environ celui qu’il fallait aux Allemands de l’Est pour se faire livrer une Trabant.

Chassé par la porte, le marché revient par la fenêtre

Dans une telle situation de pénurie administrée, il était inévitable qu’un marché noir de la location se mette en place. Les locataires amenés à devenir propriétaires ou quittant Stockholm, plutôt que de dénoncer leur bail, choisissent couramment de sous-louer leur logement sur le marché parallèle. Ce faisant, ils s’approprient la différence entre le loyer administré et le loyer de marché qui, en l’absence de réglementation, aurait été acquise au bailleur.

Les Suédois accédant, au terme d’une longue attente, à un appartement loué sur le marché officiel sont ainsi doublement gagnants. Ils bénéficient dans un premier temps d’un loyer artificiellement bas (tant qu’ils occupent eux-mêmes l’appartement) puis, lorsqu’ils le sous-louent, captent une rente sans même avoir à immobiliser du capital.

L’inefficience du marché locatif suédois est criante. Des familles sont contraintes de continuer à vivre dans des logements devenus trop petits pendant que des personnes seules louent des appartements trop grands, faute d’en trouver de plus adaptés. Cette faible mobilité résidentielle complique également la tâche des entreprises pour trouver les compétences dont elles ont besoin sur le marché de l’emploi. Mais le prix de cette inefficience est d’abord payé par les plus jeunes et les immigrés les plus récents qui n’ont souvent d’autre choix que de se tourner vers le marché parallèle.

Un système devenu impossible à réformer

Le drame du dispositif d’encadrement des loyers suédois est qu’ayant créé, au fil des années, une classe de citoyens outrageusement bénéficiaire du système (les locataires du marché officiel), un point de non-retour a été franchi. Le dernier gouvernement s’étant risqué à proposer une réforme, en 2020, a fini par tomber après avoir réuni contre lui les partis populistes des deux bords.

Dans bien des cas, l’encadrement des loyers est la meilleure technique pour détruire une ville, en dehors des bombardements.

Assar Lindbeck, économiste suédois membre du comité Nobel.

Le prix comme signal adressé à l’offre

C’est un motif qui se répète à l’envi dans l’Histoire économique. Les systèmes de prix administrés, lorsqu’ils se prolongent dans le temps sans force de rappel du marché, engendrent presque inévitablement des situations de pénurie ou, plus rarement, de surplus (production laitière en Europe au début des années 1980).

En effet, le prix, dans une économie de marché a une fonction cruciale : il est un signal envoyé aux producteurs les incitant à ajuster leurs moyens de production à l’évolution de la demande. Il joue ainsi un rôle fondamental dans l’allocation du capital à l’échelle d’une économie.

Dans le cas du logement, des loyers maintenus artificiellement bas au point que le capital ne puisse plus y trouver une rentabilité cohérente avec les autres classes d’actifs est un signal l’invitant à déserter ce secteur. Il en découle inévitablement une faiblesse de la production de logements neufs qui, si elle n’est pas corrigée, finit après quelques années par causer un déficit structurel de logements.

Le dispositif d’encadrement des loyers introduit en France dans les zones tendues par la loi ALUR n’est pas aussi radical que celui existant en Suède, loin s’en faut. Plafonner les loyers afin d’empêcher des situations manifestement abusives est parfaitement défendable. Mais il convient de continuellement s’assurer que les plafonds sont fixés à des niveaux suffisamment élevés pour ne pas envoyer au capital le signal de la fuite.

À Paris, les plafonds de loyers actuels - faussés par la prise en compte de loyers conventionnés dans le calcul du loyer de marché - correspondent à un rendement brut du capital à peine supérieur à 3%. Net de frais, le rendement tombe en dessous de 2,50% avant impôt. A l’heure où n’importe quel OPCVM monétaire rapporte 3,50%, et en combinaison avec d’autres facteurs tels que l’alternative de la location saisonnière et les obligations de rénovation énergétique, on peut juger que les conditions d’une fuite des capitaux sont réunies.

Alors que l’on observe déjà une tension locative sans précédent, il serait judicieux de se pencher sur la pertinence du paramétrage de ce dispositif avant de poursuivre son extension à un nombre de villes toujours plus important.

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Sources et bibliographie