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Dégradation de la note souveraine française

En quête d'explications

Le verdict de Standard & Poor’s

L’agence de notation Standard & Poor’s a annoncé ce 30 mai la dégradation de la note souveraine de la France à AA-, un an après qu’une autre agence - Fitch Ratings - ait initié le mouvement. Les groupes bancaires français sont les premiers a en subir le contrecoup, S&P dégradant également la note de BNP Paribas et plaçant celles du Crédit Agricole et de la Société Générale en surveillance négative.

À la lumière des rapports de la Cour des comptes publiés ces dernières semaines ainsi que des auditions de Bruno Le Maire et Thomas Cazenave devant la Commission des finances du Sénat, nous tentons ici d’établir un post mortem de la perte de contrôle de nos finances publiques depuis la fin de la pandémie.

Le pêché originel : un budget 2023 sans ambition

Hors sécurité sociale et collectivités territoriales, la France enregistre en 2023 un déficit public de 173 Md€, à comparer aux 165 Md€ prévus par la loi de finances initiale. Outre le dérapage budgétaire que cela constitue - sur lequel nous nous pencherons - il convient en premier lieu de souligner l’absence de volonté de retour à l’équilibre déjà patente dans le budget d’origine.

« Les raisons de cette dégradation sont multiples mais tiennent, en premier lieu, à une loi de finances initiale peu ambitieuse. »

Rapport de la Cour des comptes

La loi de finances 2023, quand bien même eût-elle été respectée à l’euro près, assurait le pire déficit hors période de pandémie (2020-21), d’un niveau presque deux fois supérieur à celui de 2019 qui était pourtant grevé des concessions visant à endiguer le mouvements des gilets jaunes.

Quoiqu’il en coûte forever

Quand Bruno Le Maire articule le débat autour d’une baisse inattendue des recettes fiscales, il applique le premier stratagème de l’art de la guerre professé par Sun Tzu : cacher dans la lumière ce que l’ennemi cherche dans l’ombre. En dépit du démantèlement des mesures exceptionnelles mises en place face à la pandémie de Covid, la dépense publique a continué de croître et s’établit désormais à un niveau supérieur de 39 % à celui de 2016.

On note, en particulier, sur l’exercice 2023 :

  • la hausse de 6 Md€ de la masse salariale de l’État, imputable au relèvement de 5 % du point d’indice depuis 2022 mais aussi à la progression des effectifs (+9.000 ETP sur le périmètre de l’État stricto sensu selon la Cour des comptes, +60.400 personnes sur la fonction publique au sens large selon l’Insee);

  • le coût des boucliers tarifaires énergétiques qui passe de 11,1 Md€ en 2022 à 17,9 Md€ en 2023;

  • les crédits octroyés dans le cadre de lois de programmation, en hausse de 5,5 Md€ (notamment intérieur, défense et développement solidaire);

  • l’effet boule de neige des déficits accumulés et de la hausse des taux alourdissant la charge d’intérêts de 3,3 Md€;

  • le soutien à l’Ukraine pour 1,4 Md€ supplémentaires.

« L’absence de réformes et d’économies structurelles, qui auraient pu permettre de réduire le déficit dès 2023, va au contraire peser fortement sur la trajectoire de retour du déficit à un niveau soutenable (…) la conséquence en est une divergence accrue de l’évolution de nos finances publiques par rapport à nos partenaires européens. La France reste parmi les États de l’Union dont le déficit public et l’endettement sont les plus élevés, et dont les perspectives de redressement sont les plus difficiles. »

Rapport de la Cour des comptes

Trou d’air des recettes fiscales

En 2023, les recettes fiscales nettes de l’État se sont montées à 323 Md€ contre 328 Md€ prévus dans la loi de finances initiale. La Cour des comptes rappelle utilement que ce recul des recettes fiscales dans un contexte pourtant inflationniste résulte d’abord du transfert de 10,5 Md€ de TVA aux collectivités territoriales en compensation de la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) qui leur était jusque là affectée.

Les recettes fiscales conservées par l’État n’en restent pas moins à un niveau élevé, supérieur de 43 Md€ à ce qu’il était en 2016.

Lors de leurs auditions par la Commission des finances du Sénat, Bruno Le Maire et Thomas Cazenave ont développé le narratif d’un trou d’air de 6 Md€ observé sur l’acompte de décembre de l’impôt sur les sociétés. Ce faisant, ils choisissent comme point de référence les chiffres de la loi de finance de fin de gestion publiés le 30 novembre 2023 qui révisaient imprudemment à la hausse le produit attendu de l’impôt sur les sociétés, à seulement quelques jours du dernier acompte. En lieu et place d’un trou d’air imprévisible, il n’y a en réalité qu’une reprévision excessivement agressive. L’impôt sur les sociétés encaissé se monte au final à 56,8 Md€ contre 55,2 Md€ prévu dans la loi de finance initiale et n’explique en rien le creusement du déficit.

Ce contre-feu vise à masquer le fiasco de l’introduction d’un nouvel impôt - la contribution sur les rentes infra-marginales (terriblement mal-nommée “CRIM”) - dont le rendement, initialement budgété à 12,3 Md€ s’est avéré misérable (0,6 Md€).

La gestion financière calamiteuse du marché de l’électricité

Pour mémoire, la contribution sur les rentes infra-marginales avait vocation à réduire les dégats de choix désastreux réalisés en matière de gestion du marché de l’électricité, sous pression de l’Union Européenne, depuis 2010.

Le dispositif d’Accès Régulé à l’Énergie Nucléaire Historique (ARENH) avait en effet octroyé aux distributeurs privés d’électricité la faculté de s’approprier jusqu’à 25 % de la production électrique d’EDF pour un tarif figé à 42 €/MWh alors même que le prix de l’électricité sur le marché de gros européen atteignait 275 €/MWh en 2022. Le nouvel impôt devait donc venir ponctionner la rente que les distributeurs privés tiraient de cette réglementation mal pensée, estimée à 27 Md€ pour l’année 2022.

Interrogés par la Commission des finances du Sénat au sujet de la surestimation du rendement de ce nouvel impôt, Bruno Le Maire et Thomas Cazenave l’imputent à la forte baisse des cours européens de l’électricité en 2023. Cette explication se heurte cependant au fait que le coût des mesures de bouclier énergétique, lui, est passé de 11,1 Md€ en 2022 à 17,9 Md€ en 2023. Ainsi, cette contribution sur les rentes infra-marginales qui aurait théoriquement suffi à financer l’ensemble des mesures de bouclier énergétique en 2022 n’en couvre, une fois mise en place en 2023, qu’à peine 3 % !

La Cour des comptes elle-même n’est pas parvenue à expliquer un tel écart et, tout en indiquant qu’elle poursuit ses investigations, questionne sérieusement les fondements de cette prévision.

« Cet écart massif entre la prévision de recettes attachée à la contribution sur la rente infra-marginale de production d’électricité et le produit réellement constaté soulève nécessairement la question de la pertinence, voire de la sincérité de la première. L’expliquer ex post par l’évolution des prix de l’électricité n’éclaire pas pour quelles raisons et moyennant quelles hypothèses maximalistes une prévision aussi élevée, pour une imposition entièrement nouvelle, a été produite au cours du débat parlementaire. »

Rapport de la Cour des comptes

La vilaine pratique des reports de crédit

Comme si un déficit record de 173 Md€ ne suffisait pas, la Cour des comptes pointe également la mauvaise habitude consistant pour les ministères à reporter d’une année sur l’autre les crédits budgétaires non-consommés. Alors que cette pratique était exceptionnelle jusqu’en 2020, elle prend désormais des proportions très importantes : 16 Md€ de crédits ont encore été transférés de 2023 sur 2024. En sapant le principe de l’annualité budgétaire, cette pratique nuit tant à la lisibilité des budgets présentés qu’au pilotage responsable de la dépense publique.

Sortie de piste pour la sécurité sociale

À l’aune du compte général de l’État, on pourrait presque considérer le déficit de la sécurité sociale comme quantité négligeable. Pourtant, la situation est alarmante à plusieurs titres. Rappelons tout d’abord que la sécurité sociale avait retrouvé une situation financière proche de l’équilibre en 2018 et 2019, avant de se détériorer pendant la pandémie de Covid (2020-21). C’est la lenteur de la normalisation de la trajectoire budgétaire en sortie de pandémie qui, sur les deux dernières années, pose question.

Le déficit s’établit ainsi à 10,8 Md€ en 2023 contre 7,1 Md€ prévu par la loi de finance, le dérapage se concentrant essentiellement sur la branche maladie. Plus grave encore, la nouvelle trajectoire à 4 ans montre que l’État se résigne désormais à la persistance d’un déficit structurel de la branche maladie ainsi qu’à l’aggravation progressive de celui de la branche vieillesse en dépit de la réforme des retraites de 2023, portant le déficit global à 17 Md€ par an à l’horizon 2026-27.

« Outre qu’elle est contraire au principe d’équilibre des comptes de la sécurité sociale, une telle trajectoire est inquiétante car elle contribue à la hausse d’une dette sociale dont les conditions de financement, à terme, ne sont pas définies. »

Rapport de la Cour des comptes

Parmi les nombreux points d’attention soulevés par la Cour des comptes, l’inflation de 56 % en 5 ans des indemnisations d’arrêts-maladie est particulièrement frappante. La Cour souligne l’insuffisance du dispositif de lutte contre la fraude en la matière.

D’autres facteurs participant à la dérive financière de la sécurité sociale sont mis en exergue tels que le développement de compléments de salaires exonérés de cotisations sociales voire de CSG, l’introduction de médicaments anti-cancéreux particulièrement onéreux ou encore le recours croissant des hôpitaux à des médecins contractuels.

Le fardeau de la dette

L’accumulation de déficits très dégradés depuis 2020 vient s’ajouter aux tombées de dette existante pour former des besoins de financement sans précédent. En 2023, ceux-ci ont atteint le montant record de 315 Md€ (hors sécurité sociale et collectivités territoriales).

La dégradation progressive de nos finances publiques et la dépendance aux marchés financiers qui en découle se traduisent inévitablement par un renchérissement du spread de taux que l’État doit consentir aux investisseurs, relativement à l’Allemagne. D’une moyenne de 30 points de base de 2018 à 2021 pour les maturités à 10 ans, celui s’établit désormais autour de 50 points de base. Par ruissellement, les coûts de financement des acteurs privés (banques, entreprises et ménages) en sont pénalisés d’autant.

Sortir de l’ornière

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