- MoneySmart
- Posts
- Déficit public 2024 : l'orage gronde
Déficit public 2024 : l'orage gronde
Les comptes nationaux des administrations publiques françaises pour 2024, publiés cette semaine par l'Insee, offrent un éclairage précieux sur la situation financière du pays. Nous en proposons ici une rapide analyse.
La hausse préoccupante du déficit
Le déficit public pour 2024 s'établit à 170 Md€, représentant 5,8 % du produit intérieur brut (PIB). Si ce chiffre est légèrement inférieur à la projection de 6 % présentée lors des récents débats budgétaires, il n’en reste pas moins en forte augmentation sur les trois dernières années (5,4 % du PIB en 2023, 4,7 % en 2022) et nous place en outre dans une situation isolée en Europe, l’Italie ayant réduit son déficit à 3,4 % du PIB et celui du Royaume-Uni, pourtant englué dans les conséquences du Brexit, n’atteignant que 4,5 % du PIB.
Des dépenses publiques à la dérive
En 2024, les dépenses des administrations publiques ont continué de croître à un rythme rapide (+ 3,9 %), portant la dépense publique ramenée au PIB à 57,1 %. Plusieurs facteurs clés expliquent cette dynamique :
Forte hausse des prestations sociales : Les prestations sociales ont contribué à plus de 60 % de l'augmentation totale des dépenses publiques, avec une hausse de 5,5 % en 2024, après +3,3 % en 2023. Cette accélération est principalement due aux revalorisations des prestations indexées sur l'inflation de 2023, en particulier les dépenses de retraites (+6,9 %). Les dépenses au titre du chômage ont également augmenté, en raison de la hausse du nombre de demandeurs d'emploi indemnisés et de l'augmentation du montant moyen des allocations.
Dynamisme des rémunérations : Les rémunérations versées aux agents publics ont continué de croître à un rythme soutenu (+4,6 %, comme en 2023), en raison des mesures de revalorisation salariale mises en place pour compenser l'inflation, ainsi que des primes catégorielles et d'une légère augmentation des effectifs.
Des dépenses de fonctionnement toujours en hausse : Les dépenses de fonctionnement ont augmenté de 3,8 %, après avoir pris 6,5 % en 2023, un rythme toujours supérieur à celui de l’inflation ou de la croissance du PIB en valeur.
Baisse des subventions et transferts : Les dépenses de subventions et autres transferts ont diminué pour la deuxième année consécutive (-5,8 % en 2024), en raison du démantèlement progressif des boucliers tarifaires sur l'énergie. Cette baisse a été partiellement compensée par une augmentation des subventions aux producteurs d'énergie renouvelable et des transferts aux associations œuvrant dans le domaine du handicap et de l'aide sociale à l'enfance.
Rebond de la charge d'intérêts de la dette : La charge d'intérêts de la dette a fortement augmenté (+14,6 %), en raison de la hausse des taux d'intérêt. Ce phénomène s’amplifiera dans les années qui viennent avec la nécessité de renouveler des emprunts d’État contractés à des taux très bas par de nouvelles émissions aux taux bien supérieurs (3,54 % actuellement sur l’OAT 10 ans).
Ralentissement de l'investissement : Bien qu’ayant quelque peu décéléré, l'investissement des administrations publiques reste soutenu (+5,3 % en 2024 après +8,6 % en 2023). Rappelons qu’en comptabilité publique, les dépenses d’investissement sont pleinement intégrées au déficit de l’année, sans application des principes d’amortissement que nous connaissons en comptabilité d’entreprise.
L’essoufflement des recettes publiques
En 2024, les recettes des administrations publiques ont progressé de 3,1 %, une croissance inférieure à celle du PIB en valeur (+3,5 %). Cette situation s’explique avant tout par la stagnation des recettes de TVA (+0,1 %), le recul des revenus de la propriété (-9,6 %) causé par la chute des volumes de transactions immobilières, et le repli des impôts sur la production (-2,5 %), en raison de la diminution des prélèvements sur les gains des producteurs d'électricité. D’autres postes de recettes progressent plus rapidement les autres impôts sur les produits (+5,2 % grâce à la hausse des accises sur l'électricité et le gaz), les impôts sur la main d'œuvre (+5,1 %) ou encore les recettes de cotisations sociales (+4,3 %).
La dette publique à un niveau stratosphérique
La dette publique au sens de Maastricht atteint 113,0 % du PIB à la fin de 2024, contre 109,8 % à la fin de 2023. Cette augmentation de plus de 3 points de PIB témoigne de la difficulté à maîtriser l'endettement du pays.
Un tel niveau de dette - accompagné de son inévitable charge d’intérêts - rend la France vulnérable aux chocs économiques et financiers, limitant sa capacité à réagir en cas de crise. Il nous expose également à une perte de confiance progressive de la part des investisseurs qui pourraient s’inquiéter de l’absence de mesures correctives sérieuses ainsi que d’une équation politique instable.
Soulignons enfin que la perte de contrôle des finances publiques françaises est à rebours du reste de l’Union Européenne : partout ailleurs qu’en France, des efforts conséquents de reprise en main de la dépense publique ont été réalisés depuis la fin de la pandémie. La légèreté de notre gestion financière réduit à quantité négligeable notre capacité à défendre les intérêts français dans le débat politique européen.
Alors que nous sortons de quatre mois de débats budgétaires stériles n’ayant fait émerger aucune mesure d’économie volontariste, la Banque de France abaisse déjà sa prévision de croissance pour 2025. La fenêtre d’opportunité pendant laquelle il eût encore été possible de traiter sans drame l’addiction française à la dépense publique se referme rapidement.