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Cryptos : fausses monnaies ou vrais actifs ?

Dialogue entre professionnels

DiplÎmé de l'emlyon business school et passionné par les actifs numériques, Mathieu Charret lance Mon Livret C en 2021, avec pour ambition de démocratiser les opportunités liées aux actifs numériques.

Mon Livret C est une sociĂ©tĂ© enregistrĂ©e comme Prestataire de Services sur Actifs NumĂ©riques auprĂšs de l’AutoritĂ© des MarchĂ©s Financiers proposant des supports d’investissements basĂ©s sur les actifs numĂ©riques aux professionnels de la gestion de patrimoine (gestionnaires de patrimoine, family offices, banques privĂ©es...).

Olivier Lendrevie : Pour ouvrir cette discussion sur les crypto-monnaies, j’aimerais commencer par exprimer mes doutes d’ancien banquier. Toute monnaie repose sur la confiance. Pour les monnaies traditionnelles, cette confiance s’ancre sur des actifs existants (patrimoine public) ou Ă  venir (capacitĂ© Ă  lever l’impĂŽt), une capacitĂ© Ă  les protĂ©ger (dĂ©fense du territoire) et Ă  imposer sa monnaie comme unique moyen d’échange Ă  l’intĂ©rieur du territoire. Dans le cas des crypto-monnaies, ces Ă©lĂ©ments ne sont pas prĂ©sents. DĂšs lors, sur quoi leur valeur peut-elle se fonder ?

Mathieu Charret : Avant de pouvoir rĂ©pondre Ă  la question, il est important de distinguer les diffĂ©rents types d’actifs numĂ©riques car leur valeur est indissociable de leur fonction. 

Voici quelques exemples :

● Les utility tokens - ils permettent de payer l’utilisation d’un service sous-jacent ;

● Les stablecoins - ils rĂ©pliquent le cours d’un actif rĂ©el ou d’une devise telle que l’euro ou le dollar amĂ©ricain, directement sur la blockchain ;

● Les security tokens - ils rĂ©pliquent la valeur d’un actif financier traditionnel, souvent une entreprise ;

● Les tokens de gouvernance - ils permettent de dĂ©cider de l’avenir d’un protocole ;

● Les certificats de propriĂ©tĂ© - ce sont les tokens non-fongibles (NFT) et les soul-bond tokens (SBT).

En ce qui concerne les utility tokens, leur valeur repose sur deux Ă©lĂ©ments : l’utilisation actuelle du service sous-jacent et son potentiel d’utilisation Ă  venir.

À titre d’illustration, Filecoin est une sociĂ©tĂ© qui propose des services de conservation de donnĂ©es dĂ©centralisĂ©es. Au-delĂ  de son tarif extrĂȘmement compĂ©titif (0.19 $/mois pour un 1 TB de stockage) et de sa robustesse, Filecoin est particuliĂšrement intĂ©ressant pour conserver des documents critiques telles que le contenu pro-dĂ©mocratie des journaux de Hong Kong. Or, pour pouvoir utiliser ce service, il vous faut acquĂ©rir puis dĂ©penser le token de la plateforme (le FIL), ce qui lie le prix de son token Ă  la popularitĂ© de son service.

Les tokens de gouvernance quant Ă  eux, permettent de participer aux votes concernant l’avenir d’un projet. Par exemple, Decentraland est un mĂ©taverse Ă©metteur du token LAND, qui permet Ă  la fois d’acheter des “terres” virtuelles mais Ă©galement d’ĂȘtre utilisĂ© pour peser sur les dĂ©cisions quant Ă  l’avenir de ce mĂ©taverse. Cela est particuliĂšrement intĂ©ressant pour les acteurs de la Finance DĂ©centralisĂ©e (DeFi) car ils peuvent ainsi dĂ©cider de l’évolution des fonctionnalitĂ©s de ces protocoles (sortes de site internet sur lequel on peut interagir en pair-Ă -pair). C’est un peu comme une action qui vous donnerait un droit de vote sans reflĂ©ter directement la valeur de la sociĂ©tĂ©.

Les stablecoins et les security tokens reprĂ©sentent un actif rĂ©el donc il est plus aisĂ© d’apprĂ©hender leur valeur. Leur existence se justifie simplement par leur compatibilitĂ© avec les diffĂ©rentes blockchains qui prĂ©sente des avantages en termes de gains d’efficacitĂ© et de dĂ©sintermĂ©diation. Les stablecoins suivent gĂ©nĂ©ralement des devises ou des matiĂšres premiĂšres tandis que les security tokens reprĂ©sentent un actif financier tel qu’une action de sociĂ©tĂ©.

En ce qui concerne les NFT, leur valeur est trĂšs subjective et dĂ©pend une nouvelle fois de leur objectif : art numĂ©rique, certificat de propriĂ©tĂ© d’un bien immobilier ou d’un produit de luxe, diplĂŽme, identitĂ© numĂ©rique etc
 Autant la technologie me paraĂźt intĂ©ressante, autant il est difficile d’objectiver leur valeur tant ils sont diffĂ©rents les uns des autres. Si vous me demandez la valeur d’un fichier d’art numĂ©rique, je ne pourrai pas vous l’expliquer. Mais je ne suis pas collectionneur.

Enfin, il reste le sujet brĂ»lant de Bitcoin et c’est l’interrogation que je pense percevoir dans votre question. Bitcoin est un utility token puisqu’il permet de payer les frais de transaction sur sa blockchain qui est une infrastructure de paiement robuste, autonome, internationale et respectueuse de la vie privĂ©e. Sa valeur vient donc de son usage. Mais pourquoi Bitcoin est-il le seul utility token qui peut aujourd’hui prĂ©tendre Ă  ĂȘtre considĂ©rĂ© comme une monnaie ?

Car nombreux considĂšrent qu’il rĂ©pond aux trois rĂŽles principaux de la monnaie, Ă  savoir :

● Permettre l’échange ;

● Servir comme unitĂ© de compte ;

● Conserver sa valeur dans le temps - affirmation difficile Ă  dĂ©fendre au regard de sa volatilitĂ© quand on vit dans un pays dĂ©veloppĂ©, mais qui s’entend tout Ă  fait du point de vue d’épargnants de pays aux monnaies fragiles sujets Ă  des Ă©pisodes d’hyper-inflation.

Et pour ce faire, cette monnaie doit ĂȘtre transportable, durable, facilement divisible et doit possĂ©der une certaine forme de raretĂ©. Ce dernier prĂ©-requis est souvent remis en question. Pourtant, lĂ  oĂč une monnaie traditionnelle peut ĂȘtre multipliĂ©e Ă  l’infini au bon vouloir de la banque centrale, Bitcoin s’auto-limite Ă  21 millions d’unitĂ©s et ce de façon immuable. C’est cette promesse qui permet Ă  certains d’affirmer que bitcoin est une bonne monnaie et qui pousse certains investisseurs Ă  y voir un rĂ©servoir de valeur protĂ©gĂ© des phĂ©nomĂšnes d’érosion monĂ©taire. “La mauvaise monnaie chasse la bonne.”

On retrouve cette mĂȘme volontĂ© de raretĂ© dans le projet de monnaie internationale portĂ©e par les BRICS et qui a vocation Ă  ĂȘtre basĂ© sur l’or, afin de retrouver une forme de raretĂ©. Mais l’or est-il une bonne rĂ©serve de valeur ? Son utilisation industrielle ne suffit pas Ă  justifier sa valeur, sans quoi le cuivre ferait tout aussi bien l’affaire. C’est sa raretĂ© et le coĂ»t trĂšs Ă©levĂ© de sa production marginale qui lui confĂšrent ce statut de rĂ©serve de valeur. L’or est une assurance contre la tentation du pouvoir politique et des banques centrales de dĂ©multiplier dĂ©raisonnablement la monnaie. Idem du bitcoin avec, en prime, une praticitĂ© de conservation et d’échange accrue.

OL : J’aimerais que l’on esquisse une cartographie des utilisateurs de crypto-monnaies. De façon peut-ĂȘtre rĂ©ductrice, j’ai le sentiment qu’il y a d’un cĂŽtĂ© un public de jeunes actifs qui y voient un objet purement spĂ©culatif et de l’autre cĂŽtĂ© des rĂ©seaux qui en font la monnaie d’une Ă©conomie souterraine qui veut s’affranchir de la surveillance du systĂšme bancaire. Souhaitez-vous corriger ou complĂ©ter ce tableau ?

MC : Cette vision me semble rĂ©ductrice en effet, mais c’est malheureusement celle qui est dĂ©peinte par les mĂ©dias grands publics et qui manque cruellement de nuances.

Oui, une part importante des dĂ©tenteurs d’actifs numĂ©riques s’inscrivent dans une logique spĂ©culative. Et en effet, ces investisseurs sont globalement jeunes et majoritairement des hommes comme on peut le voir en France, oĂč 48% des Français dĂ©tenteurs d’actifs numĂ©riques ont moins de 35 ans et 63,5% sont des hommes selon la derniĂšre Ă©tude de l’ADAN (Association de DĂ©veloppement des Actifs NumĂ©riques). À l’heure oĂč l’on compte plus de 20.000 actifs numĂ©riques diffĂ©rents, 95% sont sĂ»rement bons Ă  jeter aux orties. Mais les 5% restants reposent sur une vĂ©ritable proposition de valeur qui a le potentiel de rĂ©volutionner nos interactions. À titre personnel, je n’ai aucun problĂšme avec le fait de miser sur ces actifs. C’est mĂȘme une action positive qui marque une confiance dans leur potentiel de marchĂ©. Mais cela implique un travail de sĂ©lection. Il ne faut s’emballer Ă  la simple lecture d’un tweet d’Elon Musk.

Comme nous l’avons vu prĂ©cĂ©demment, certains actifs numĂ©riques servent un vĂ©ritable intĂ©rĂȘt et ouvrent la voie Ă  de nouvelles formes d’échanges dĂ©sintermĂ©diĂ©s oĂč chaque interaction peut ĂȘtre rĂ©alisĂ©e en pair-Ă -pair. Cette nouvelle vague d’internet porte en elle des valeurs de transparence, d’efficacitĂ© opĂ©rationnelle, d’inclusion et de rĂ©sistance Ă  la censure. Pour comprendre la proposition de valeur de ces actifs, il faut accepter d’adopter une vision plus globale du monde. En France, nous avons la chance de vivre dans une sociĂ©tĂ© trĂšs dĂ©veloppĂ©e, avec des infrastructures robustes, performantes et orchestrĂ©es par des institutions a priori respectables. Donc, Ă  l’heure actuelle, la proposition de valeur des actifs numĂ©riques n’est pas vitale en France. Mais pour les citoyens du monde confrontĂ©s Ă  des institutions fragiles ou corrompues, oĂč la notion de propriĂ©tĂ© n’existe pas, pour les 1,7 milliards d’individus qui ne possĂšdent pas de comptes bancaires et qui doivent cacher leurs billets sous le matelas, pour les 230 millions d’expatriĂ©s qui sacrifient chaque mois des frais exorbitants pour envoyer des fonds Ă  leurs familles restĂ©es dans leurs pays d’origine, pour les femmes afghanes qui se voient privĂ©es de la gestion de leurs propres Ă©conomies ou encore pour les VĂ©nĂ©zuĂ©liens, les Libanais ou les Argentins qui doivent composer avec une monnaie rongĂ©e par une inflation Ă  3 chiffres et qui ne peuvent pas se rĂ©fugier sur des devises Ă©trangĂšres du fait de contrĂŽles des changes drastiques, les actifs numĂ©riques offrent un havre de sĂ©curitĂ© inespĂ©rĂ©.

Les actifs numĂ©riques resteront-ils dĂšs lors une monnaie du “tiers monde” ? Je ne le pense pas. Car les pays dĂ©veloppĂ©s sont particuliĂšrement intĂ©ressĂ©s par son efficacitĂ© opĂ©rationnelle et Ă  l’heure oĂč la confiance dans les institutions s'Ă©rode, la transparence offerte par les actifs numĂ©riques sĂ©duit de nombreux investisseurs et utilisateurs.

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En ce qui concerne l’allĂ©gation selon laquelle les actifs numĂ©riques servent de monnaie pour une Ă©conomie souterraine, cela est vrai, mais pas autant que les monnaies traditionnelles. La derniĂšre Ă©tude de Chainalysis (le leader de l’analyse de transactions blockchains) Ă©value la part des transactions en actifs numĂ©riques associĂ©e Ă  des activitĂ©s illicites Ă  0,24%. Tandis que l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime estime que les activitĂ©s illicites rapportent l’équivalent de 3,6% du PIB mondial.

Mais comme il n’y a pas de fumĂ©e sans feu, il me semble important d’expliquer l’origine de cette rĂ©putation. Cette idĂ©e reçue me semble ĂȘtre le fruit de deux Ă©lĂ©ments.

Le premier est la confusion entre anonymat et pseudonymat. La blockchain est une sorte de grand registre de donnĂ©es distribuĂ© qui permet Ă  tous ceux qui le souhaitent de consulter l’historique de l’ensemble des transactions passĂ©es sur le rĂ©seau, avec les dates, les montants Ă©changĂ©s et les diffĂ©rents protagonistes. Or, afin de respecter la vie privĂ©e des utilisateurs, ces derniers ne sont dĂ©signĂ©s que par une “adresse publique", l'Ă©quivalent de l’IBAN en quelque sorte. Ils ne sont donc pas anonymes, mais pseudonymes. Une distinction qui implique une traçabilitĂ© totale et permanente de toutes les transactions rĂ©alisĂ©es, et une exposition sans fin Ă  quiconque dĂ©cide de les analyser. Il est possible de remonter l’ensemble des transactions d’une blockchain, et ce jusqu’à sa crĂ©ation. En consĂ©quence, les actifs numĂ©riques ne sont pas fongibles au mĂȘme titre que la monnaie traditionnelle, chaque token a son histoire. C’est finalement un systĂšme comparable Ă  celui de la monnaie scripturale, infiniment plus transparent que celui des espĂšces.

Le deuxiĂšme Ă©lĂ©ment n’est autre que l’Histoire. En fĂ©vrier 2011, Ross Ulbricht met au point le sulfureux site Silk Road. HĂ©bergĂ©e sur le darknet, ce marchĂ© noir permet d’acheter et de vendre toute sorte de produits illĂ©gaux (armes, drogues, et autres joyeusetĂ©s) avec pour seule et unique monnaie
 Bitcoin, choisi pour son “anonymat”. Le site connaĂźt un gigantesque succĂšs, et brasse l’équivalent de 184 millions de dollars de ventes entre 2011 et 2013. En 2015, le site est dĂ©finitivement fermĂ© et son propriĂ©taire condamnĂ© Ă  la prison Ă  perpĂ©tuitĂ©. Autre Ă©pisode important : le contournement des sanctions amĂ©ricaines par WikiLeaks, qui annonce via Twitter le 15 juin 2011 accepter les dons en Bitcoin. L’ONG, fondĂ©e par le lanceur d’alertes Julian Assange, rĂ©agit ainsi aux pressions du gouvernement amĂ©ricain sur Visa, MasterCard et PayPal, qui bloquent tous les transferts de fonds de leurs utilisateurs vers la plateforme. Bitcoin rĂ©vĂšle alors la capacitĂ© intrinsĂšque de son architecture dĂ©centralisĂ©e Ă  rĂ©sister aux injonctions politiques et Ă  la censure.

On parle ici des jeunes années de Bitcoin et, à cette époque, les régulateurs ne disposaient pas des outils ou des compétences leur permettant de tracer les flux financiers sur la blockchain. Ce déficit a depuis été comblé, entraßnant une baisse du nombre de transactions illicites sur le réseau.

En rĂ©ponse Ă  ce phĂ©nomĂšne, de nouvelles crypto-monnaies sont apparues visant Ă  recrĂ©er des conditions d’opacitĂ©. La plus connue d’entre elles est Monero, créée en 2014, qui utilise des systĂšmes cryptographiques trĂšs complexes de maniĂšre Ă  ce qu’il soit trĂšs difficile de connaĂźtre les montants envoyĂ©s dans chaque transaction et d’en identifier les parties prenantes. Ce type de blockchain constitue une menace pour la dĂ©mocratisation des actifs numĂ©riques. Il ne fait guĂšre de doute que le progrĂšs des outils d’analyse transactionnelle permettra tĂŽt ou tard de “craquer” cette monnaie et de restaurer l’auditabilitĂ© des transactions. 

OL : Je souhaiterais que l’on revienne sur la faillite de la bourse de crypto-monnaies FTX et la condamnation de son dirigeant Sam Bankman-Fried pour fraude et association de malfaiteurs. Ma comprĂ©hension est que FTX a dĂ©tournĂ© des crypto-actifs inscrits sur les comptes de ses clients pour alimenter l’activitĂ© spĂ©culative d’une sociĂ©tĂ© sƓur (Alameda Research). Dans le monde des titres, une telle fraude aurait Ă©tĂ© impossible de par l’intervention d’un dĂ©positaire chargĂ© de vĂ©rifier la lĂ©gitimitĂ© de toutes ces transactions. Cela semble montrer qu’au-delĂ  du risque liĂ© Ă  la volatilitĂ© d’une crypto-monnaie, que tout le monde perçoit, il y aussi un risque liĂ© Ă  la sĂ©curitĂ© de leur conservation. Cette synthĂšse est-elle correcte ou y a-t-il d’autres dimensions dans le scandale FTX ? Et existe-t-il des moyens pour un investisseur de se prĂ©munir contre ce risque de conservation ?

MC : La synthĂšse est juste. Si les banques elles-mĂȘmes recyclent une partie de l’épargne de leurs clients pour alimenter des activitĂ©s de crĂ©dit, elles le font dans un cadre trĂšs rĂ©glementĂ© et avec, pour l’épargnant, la garantie des dĂ©pĂŽts assurĂ©e par l’État en filet de sĂ©curitĂ©.

De mon point de vue, l’affaire FTX souligne surtout la faiblesse du rĂ©gulateur amĂ©ricain sur le sujet des actifs numĂ©riques, peut-ĂȘtre aggravĂ©e par le fait que Sam Bankman-Fried avait des liens privilĂ©giĂ©s avec la Securities Exchange Commission et les sphĂšres politiques. J’ose espĂ©rer qu’un tel dĂ©sastre n’aurait pas Ă©tĂ© possible en France, grĂące Ă  un rĂ©gulateur plus attentif et un cadre rĂ©glementaire mieux Ă©tabli. Il est important de rappeler que les actifs numĂ©riques sont Ă  un stade de dĂ©veloppement embryonnaire et tout comme la finance traditionnelle qui a Ă©galement trĂ©buchĂ© par le passĂ©, je suis convaincu que cet Ă©vĂšnement permettra Ă  l’écosystĂšme tout entier de gagner en maturitĂ©.

Pour l’investisseur, il est possible de se protĂ©ger contre ce type de fraude en rapatriant ses crypto-actifs sur la blockchain plutĂŽt qu’en les laissant en conservation auprĂšs d’un intermĂ©diaire. C'est un principe de prudence que nous appliquons chez Mon Livret C. Cela pose nĂ©anmoins un autre problĂšme de sĂ©curitĂ© : la conservation de sa clĂ© privĂ©e qui est l’équivalent de son mot de passe en finance traditionnelle. En cas de perte de celle-ci, personne ne peut intervenir pour protĂ©ger ou rĂ©cupĂ©rer les fonds. Par ailleurs, cette solution engendre des frais de transaction plus importants.

OL : Dans l’univers des crypto-monnaies, les stablecoins sont les plus proches de pouvoir offrir un moyen d’échange non-spĂ©culatif. Pourtant la Banque pour les RĂšglements Internationaux (BRI) vient de publier un rapport pointant les frĂ©quentes ruptures de paritĂ© des stablecoins avec leur devise de rĂ©fĂ©rence et, plus grave encore, la faible auditabilitĂ© des rĂ©serves de devises qui sous-tendent leur convertibilitĂ©. Quel regard portez-vous sur le sujet ?

MC : Le rapport de la BRI est particuliĂšrement intĂ©ressant. Ils ont analysĂ© la quasi totalitĂ© des stablecoins du marchĂ© et sont donc allĂ©s au bout du sujet, ce qui mĂ©rite d’ĂȘtre saluĂ©. 

En ce qui concerne les pertes de paritĂ© frĂ©quente des stablecoins, il est important de rappeler qu’ils sont, au mĂȘme titre que les autres actifs numĂ©riques, soumis Ă  la stricte loi de l’offre et de la demande. C’est cette derniĂšre qui dĂ©termine leur prix sur le marchĂ© et qui est donc Ă  l’origine de leur volatilitĂ©. MĂȘme si la banque centrale Ă©mettait un stablecoin, celui-ci connaĂźtrait vraisemblablement de lĂ©gĂšres pertes de paritĂ© rapidement arbitrĂ©es par les acteurs du marchĂ©. 

Il existe 4 types de stablecoins aujourd’hui : les stablecoins centralisĂ©s, les stablecoins dĂ©centralisĂ©s et les stablecoins dĂ©centralisĂ©s et algorithmiques. Le quatriĂšme type est une hybridation des deux derniers.

Les plus populaires sont les stablecoins collatĂ©ralisĂ©s, ce qui signifie qu’ils sont basĂ©s sur des actifs traditionnels. Par exemple, l’USDC est Ă©mis par la sociĂ©tĂ© Circle, enregistrĂ©e aux États-Unis. Afin d’obtenir un USDC de sa part, vous devez leur envoyer un “vrai” dollar sur leur compte bancaire. Votre dollar sera ensuite converti en actifs gĂ©nĂ©rant du rendement tels que des bons du trĂ©sor. Et ce sont ces rendements gĂ©nĂ©rĂ©s qui constituent le chiffre d'affaires de Circle. Et lorsque vous le souhaiterez, vous pourrez, dans le sens retour, Ă©changer vos USDC contre des dollars. La paritĂ© sur le marchĂ© sera assurĂ©e par des acteurs Ă  l’affĂ»t d’arbitrages qui achĂšteront/vendront l’USDC contre le dollar dĂšs qu’il s’écartera de la paritĂ©. Tout repose donc sur la confiance des acteurs sur la capacitĂ© Ă  Ă©changer un USDC contre un dollar. Les stablecoins centralisĂ©s sont globalement les plus sĂ»rs, mais cela ne les empĂȘche pas de subir occasionnellement des pertes de paritĂ©. La plus rĂ©cente sur l’USDC remonte Ă  mars 2023, lorsque la Silicon Valley Bank s’est dĂ©clarĂ©e insolvable. Environ 8% des rĂ©serves en dollars de Circle Ă©taient hĂ©bergĂ©es dans cette banque, et le token a donc chutĂ© Ă  0,92$ avant de retrouver la paritĂ© Ă  l’annonce du sauvetage de la banque.

La question de l’auditabilitĂ© des rĂ©serves de ce type de stablecoin est un excellent point soulevĂ© par la BRI. Ces tokens sont collatĂ©ralisĂ©s par des dollars ensuite convertis en obligations ou bons du trĂ©sor. L’enjeu pour assurer la confiance des investisseurs est donc de fournir des preuves de l’existence et de la valeur de ces rĂ©serves. Et tous ne sont pas Ă©gaux face Ă  cela. Un seul stablecoin (TrueUSD) fournit ces preuves sur base quotidienne. Les autres, moins exigeants, ne publient ces informations que sur base mensuelle, trimestrielle voire semestrielle. C’est un critĂšre Ă  prendre en compte lorsqu’on choisit son support d’investissement.

L’autre point soulevĂ© par la BRI, et qui est tout aussi pertinent, est la qualitĂ© des auditeurs et des mĂ©thodes comptables employĂ©es qui varient d’un stablecoin Ă  l’autre. Rappelons nĂ©anmoins que l’étude porte sur 68 stablecoins. Les stablecoins les plus utilisĂ©s sont moins sujets Ă  cette critique. Enfin, j’ajouterais Ă©galement que le maintien de la confiance est un enjeu critique pour les sociĂ©tĂ©s Ă©mettrices de stablecoins. Elles ont donc tout intĂ©rĂȘt Ă  assurer la transparence et la sĂ©curitĂ© afin d’assoir la pĂ©rennitĂ© de leurs stablecoins.

Ensuite, nous avons les stablecoins dĂ©centralisĂ©s et collatĂ©ralisĂ©s. Ce type de stablecoin est garanti par d'autres cryptomonnaies. Le stablecoin le mieux Ă©tabli dans cette catĂ©gorie est le DAI, dont le collatĂ©ral est principalement composĂ© d’USDC, de BTC et d’ETH. Il est gĂ©rĂ© par une organisation autonome dĂ©centralisĂ©e (DAO) nommĂ©e MakerDAO. Le fonctionnement de ce type de stablecoin est particuliĂšrement transparent, il est donc aisĂ© d’auditer la valeur du collatĂ©ral et je ne pense pas que ce soit ce type de stablecoin qui soit visĂ© par la critique de la BRI.

Enfin, nous avons les stablecoins dĂ©centralisĂ©s et algorithmiques qui utilisent des mĂ©canismes pour Ă©quilibrer l'offre et la demande afin de maintenir la paritĂ© avec la devise ciblĂ©e. Ils ne sont pas garantis par des actifs comme le sont les deux autres types de stablecoins. Il s'agit d'une diffĂ©rence cruciale et la fiabilitĂ© de ce type de modĂšle est encore loin d’ĂȘtre Ă©tablie.

OL : En 2024, la rĂšglementation MiCA fera de l’Union EuropĂ©enne la premiĂšre zone Ă©conomique Ă  poser un cadre juridique et rĂ©glementaire pour les crypto-monnaies. Cette rĂ©glementation peut-elle ĂȘtre un atout pour le dĂ©veloppement du secteur ou la voyez-vous au contraire comme un frein Ă  l’innovation ?

MC : Pour moi c’est un atout indĂ©niable. Que l’on soit d’accord avec son contenu ou non, cette rĂ©glementation Ă©tablit des rĂšgles du jeu solides qui permettront Ă  l’écosystĂšme de se dĂ©velopper et aux investisseurs de participer au sein d’un marchĂ© encadrĂ© de façon stable, contrairement aux États-Unis oĂč la volatilitĂ© rĂ©glementaire a contraint des sociĂ©tĂ©s comme Paxos Ă  quitter le territoire. C’est un Ă©lĂ©ment fondamental de la confiance.

De plus, je suis convaincu que les actifs numériques ont beaucoup à apporter aux interactions économiques au sein de nos sociétés. Or, sans existence juridique, cela serait impossible.

On peut dĂ©plorer en revanche que ce rĂšglement ne soit pas adoptĂ© Ă  l’échelle internationale. Car les gĂ©ants internationaux ne sont pas (encore) soumis aux mĂȘmes exigences, ce qui crĂ©e une forme de concurrence dĂ©loyale. Mais surtout car je pense que tout un pan de cette nouvelle gĂ©nĂ©ration d’internet a capacitĂ© Ă  passer outre les rĂ©glementations nationales. Sans harmonisation Ă  l’échelle internationale, des failles subsisteront.

Enfin je regrette que certains Ă©lĂ©ments de cette rĂšglementation aillent Ă  l’encontre des valeurs portĂ©es par le secteur telles que la dĂ©centralisation et le respect de la vie privĂ©e. Et ce pour des raisons d’inefficacitĂ© opĂ©rationnelle du rĂ©gulateur qui n’a pas souhaitĂ© adapter son cadre rĂ©glementaire ou ses modes opĂ©ratoires aux caractĂ©ristiques spĂ©cifiques de cette nouvelle classe d’actifs.

OL : La Banque centrale europĂ©enne vient d’annoncer aprĂšs deux ans d’étude la poursuite du projet de crĂ©ation de l’euro numĂ©rique, en vue d’un lancement en 2025. Quels sont selon vous les objectifs d’un tel projet et quels impacts en attendez-vous pour le secteur des crypto-monnaies ?

MC : En effet, on passe dĂ©sormais dans une phase d’expĂ©rimentation qui devrait durer trois ans et qui posera les bases d'un Ă©ventuel euro numĂ©rique. Ce n’est pas encore un feu vert car cette dĂ©cision ne sera prise par le Conseil des gouverneurs de la BCE qu'une fois le processus lĂ©gislatif de l'Union europĂ©enne achevĂ©. L’euro numĂ©rique n’a donc pas encore de statut officiel Ă  ce jour.

Selon la BCE, l’euro numĂ©rique n'a pas vocation Ă  se substituer aux espĂšces. Il est davantage prĂ©sentĂ© comme un concurrent de Visa et Mastercard, c’est-Ă -dire une plateforme permettant aux intermĂ©diaires financiers europĂ©ens d'offrir des services de paiements dĂ©matĂ©rialisĂ©s. On pourrait donc dĂ©tenir un portefeuille d’euros numĂ©riques avec lequel il serait possible de rĂ©gler des achats via une application smartphone ou une carte.

Pour l’utilisateur final, le premier intĂ©rĂȘt me semble ĂȘtre celui de l’inclusion financiĂšre puisqu'avec une telle monnaie numĂ©rique, tous les citoyens pourraient disposer d’un moyen de paiement Ă©lectronique gratuit. Ensuite, l’efficacitĂ© opĂ©rationnelle d’un tel systĂšme serait bĂ©nĂ©fique pour l’Europe. Cela rĂ©duirait la complexitĂ© et le coĂ»t d’utilisation de la monnaie. Enfin, le dernier avantage me semble ĂȘtre celui de la sĂ©curitĂ© financiĂšre. Une monnaie numĂ©rique de banque centrale (MNBC) fait disparaĂźtre pour son utilisateur le risque attachĂ© Ă  la monnaie scripturale en cas de faillite bancaire.

Pour le rĂ©gulateur, l’intĂ©rĂȘt principal d’une MNBC me semble ĂȘtre la rĂ©duction de l’usage des espĂšces, qui reste le moyen de paiement le plus frĂ©quemment utilisĂ© en Europe, afin de faciliter la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. On ne peut exclure la possibilitĂ© que la BCE y voit aussi un moyen d’avoir plus de contrĂŽle sur les courroies de transmission de sa politique monĂ©taire. L’introduction d’une MNBC de dĂ©tail serait une forme de dĂ©sintermĂ©diation du systĂšme bancaire qui limiterait sa capacitĂ© Ă  transformer les dĂ©pĂŽts en crĂ©dits.

Il n’est donc guĂšre surprenant que les banques commerciales soient peu enthousiastes Ă  la perspective d’une MNBC de dĂ©tail. Il est vraisemblable qu’un compromis sera trouvĂ© permettant la co-existance d’une MNBC de dĂ©tail portant sur des montants limitĂ©s avec une monnaie scripturale qui continuera d’ĂȘtre intermĂ©diĂ©e par le systĂšme bancaire. 

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Les MNBC font l’objet de nombreuses critiques du fait de leur capacitĂ© Ă  devenir un instrument de contrĂŽle extrĂȘmement puissant. Elles pourraient techniquement permettre un contrĂŽle total sur les transactions, mettant Ă  mal la libertĂ© et la vie privĂ©e des citoyens. De plus, cette monnaie pourrait ĂȘtre programmable et servir les diffĂ©rentes politiques monĂ©taires en orientant les dĂ©penses des citoyens. Fin 2022, la rumeur avait ainsi circulĂ© du lancement d’un e-Yuan, la MNBC chinoise, qui aurait Ă©tĂ© assorti d’une date d’expiration afin pousser les mĂ©nages Ă  consommer et relancer l’économie.

À titre personnel, je ne suis pas convaincu de l’intĂ©rĂȘt d’une MNBC de dĂ©tail en Europe qui ne me semble pas rĂ©pondre Ă  un besoin criant. De plus, comme je n’imagine pas la BCE sacrifier les banques commerciales, je doute que la rĂ©duction des coĂ»ts soit significative. Le systĂšme actuel semble par ailleurs performant. 

Enfin, pour les investisseurs en actifs numĂ©riques, la conversion en MNBC sera vraisemblablement un Ă©vĂ©nement gĂ©nĂ©rateur d’imposition, ce qui n’est pas le cas de la conversion en stablecoins privĂ©s Ă  ce jour. Bien que la MNBC prĂ©sente des avantages de sĂ©curitĂ© Ă©vidents par rapport aux stablecoins, l’asymĂ©trie fiscale constituerait un frein Ă  l’utilisation de la MNBC.

OL : Merci, Mathieu Charret, pour cet échange.

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