• MoneySmart
  • Posts
  • Cryptos : fausses monnaies ou vrais actifs ?

Cryptos : fausses monnaies ou vrais actifs ?

Dialogue entre professionnels

Diplômé de l'emlyon business school et passionné par les actifs numériques, Mathieu Charret lance Mon Livret C en 2021, avec pour ambition de démocratiser les opportunités liées aux actifs numériques.

Mon Livret C est une société enregistrée comme Prestataire de Services sur Actifs Numériques auprès de l’Autorité des Marchés Financiers proposant des supports d’investissements basés sur les actifs numériques aux professionnels de la gestion de patrimoine (gestionnaires de patrimoine, family offices, banques privées...).

Olivier Lendrevie : Pour ouvrir cette discussion sur les crypto-monnaies, j’aimerais commencer par exprimer mes doutes d’ancien banquier. Toute monnaie repose sur la confiance. Pour les monnaies traditionnelles, cette confiance s’ancre sur des actifs existants (patrimoine public) ou à venir (capacité à lever l’impôt), une capacité à les protéger (défense du territoire) et à imposer sa monnaie comme unique moyen d’échange à l’intérieur du territoire. Dans le cas des crypto-monnaies, ces éléments ne sont pas présents. Dès lors, sur quoi leur valeur peut-elle se fonder ?

Mathieu Charret : Avant de pouvoir répondre à la question, il est important de distinguer les différents types d’actifs numériques car leur valeur est indissociable de leur fonction. 

Voici quelques exemples :

 Les utility tokens - ils permettent de payer l’utilisation d’un service sous-jacent ;

 Les stablecoins - ils répliquent le cours d’un actif réel ou d’une devise telle que l’euro ou le dollar américain, directement sur la blockchain ;

 Les security tokens - ils répliquent la valeur d’un actif financier traditionnel, souvent une entreprise ;

 Les tokens de gouvernance - ils permettent de décider de l’avenir d’un protocole ;

 Les certificats de propriété - ce sont les tokens non-fongibles (NFT) et les soul-bond tokens (SBT).

En ce qui concerne les utility tokens, leur valeur repose sur deux éléments : l’utilisation actuelle du service sous-jacent et son potentiel d’utilisation à venir.

À titre d’illustration, Filecoin est une société qui propose des services de conservation de données décentralisées. Au-delà de son tarif extrêmement compétitif (0.19 $/mois pour un 1 TB de stockage) et de sa robustesse, Filecoin est particulièrement intéressant pour conserver des documents critiques telles que le contenu pro-démocratie des journaux de Hong Kong. Or, pour pouvoir utiliser ce service, il vous faut acquérir puis dépenser le token de la plateforme (le FIL), ce qui lie le prix de son token à la popularité de son service.

Les tokens de gouvernance quant à eux, permettent de participer aux votes concernant l’avenir d’un projet. Par exemple, Decentraland est un métaverse émetteur du token LAND, qui permet à la fois d’acheter des “terres” virtuelles mais également d’être utilisé pour peser sur les décisions quant à l’avenir de ce métaverse. Cela est particulièrement intéressant pour les acteurs de la Finance Décentralisée (DeFi) car ils peuvent ainsi décider de l’évolution des fonctionnalités de ces protocoles (sortes de site internet sur lequel on peut interagir en pair-à-pair). C’est un peu comme une action qui vous donnerait un droit de vote sans refléter directement la valeur de la société.

Les stablecoins et les security tokens représentent un actif réel donc il est plus aisé d’appréhender leur valeur. Leur existence se justifie simplement par leur compatibilité avec les différentes blockchains qui présente des avantages en termes de gains d’efficacité et de désintermédiation. Les stablecoins suivent généralement des devises ou des matières premières tandis que les security tokens représentent un actif financier tel qu’une action de société.

En ce qui concerne les NFT, leur valeur est très subjective et dépend une nouvelle fois de leur objectif : art numérique, certificat de propriété d’un bien immobilier ou d’un produit de luxe, diplôme, identité numérique etc… Autant la technologie me paraît intéressante, autant il est difficile d’objectiver leur valeur tant ils sont différents les uns des autres. Si vous me demandez la valeur d’un fichier d’art numérique, je ne pourrai pas vous l’expliquer. Mais je ne suis pas collectionneur.

Enfin, il reste le sujet brûlant de Bitcoin et c’est l’interrogation que je pense percevoir dans votre question. Bitcoin est un utility token puisqu’il permet de payer les frais de transaction sur sa blockchain qui est une infrastructure de paiement robuste, autonome, internationale et respectueuse de la vie privée. Sa valeur vient donc de son usage. Mais pourquoi Bitcoin est-il le seul utility token qui peut aujourd’hui prétendre à être considéré comme une monnaie ?

Car nombreux considèrent qu’il répond aux trois rôles principaux de la monnaie, à savoir :

 Permettre l’échange ;

 Servir comme unité de compte ;

 Conserver sa valeur dans le temps - affirmation difficile à défendre au regard de sa volatilité quand on vit dans un pays développé, mais qui s’entend tout à fait du point de vue d’épargnants de pays aux monnaies fragiles sujets à des épisodes d’hyper-inflation.

Et pour ce faire, cette monnaie doit être transportable, durable, facilement divisible et doit posséder une certaine forme de rareté. Ce dernier pré-requis est souvent remis en question. Pourtant, là où une monnaie traditionnelle peut être multipliée à l’infini au bon vouloir de la banque centrale, Bitcoin s’auto-limite à 21 millions d’unités et ce de façon immuable. C’est cette promesse qui permet à certains d’affirmer que bitcoin est une bonne monnaie et qui pousse certains investisseurs à y voir un réservoir de valeur protégé des phénomènes d’érosion monétaire. “La mauvaise monnaie chasse la bonne.”

On retrouve cette même volonté de rareté dans le projet de monnaie internationale portée par les BRICS et qui a vocation à être basé sur l’or, afin de retrouver une forme de rareté. Mais l’or est-il une bonne réserve de valeur ? Son utilisation industrielle ne suffit pas à justifier sa valeur, sans quoi le cuivre ferait tout aussi bien l’affaire. C’est sa rareté et le coût très élevé de sa production marginale qui lui confèrent ce statut de réserve de valeur. L’or est une assurance contre la tentation du pouvoir politique et des banques centrales de démultiplier déraisonnablement la monnaie. Idem du bitcoin avec, en prime, une praticité de conservation et d’échange accrue.

OL : J’aimerais que l’on esquisse une cartographie des utilisateurs de crypto-monnaies. De façon peut-être réductrice, j’ai le sentiment qu’il y a d’un côté un public de jeunes actifs qui y voient un objet purement spéculatif et de l’autre côté des réseaux qui en font la monnaie d’une économie souterraine qui veut s’affranchir de la surveillance du système bancaire. Souhaitez-vous corriger ou compléter ce tableau ?

MC : Cette vision me semble réductrice en effet, mais c’est malheureusement celle qui est dépeinte par les médias grands publics et qui manque cruellement de nuances.

Oui, une part importante des détenteurs d’actifs numériques s’inscrivent dans une logique spéculative. Et en effet, ces investisseurs sont globalement jeunes et majoritairement des hommes comme on peut le voir en France, où 48% des Français détenteurs d’actifs numériques ont moins de 35 ans et 63,5% sont des hommes selon la dernière étude de l’ADAN (Association de Développement des Actifs Numériques). À l’heure où l’on compte plus de 20.000 actifs numériques différents, 95% sont sûrement bons à jeter aux orties. Mais les 5% restants reposent sur une véritable proposition de valeur qui a le potentiel de révolutionner nos interactions. À titre personnel, je n’ai aucun problème avec le fait de miser sur ces actifs. C’est même une action positive qui marque une confiance dans leur potentiel de marché. Mais cela implique un travail de sélection. Il ne faut s’emballer à la simple lecture d’un tweet d’Elon Musk.

Comme nous l’avons vu précédemment, certains actifs numériques servent un véritable intérêt et ouvrent la voie à de nouvelles formes d’échanges désintermédiés où chaque interaction peut être réalisée en pair-à-pair. Cette nouvelle vague d’internet porte en elle des valeurs de transparence, d’efficacité opérationnelle, d’inclusion et de résistance à la censure. Pour comprendre la proposition de valeur de ces actifs, il faut accepter d’adopter une vision plus globale du monde. En France, nous avons la chance de vivre dans une société très développée, avec des infrastructures robustes, performantes et orchestrées par des institutions a priori respectables. Donc, à l’heure actuelle, la proposition de valeur des actifs numériques n’est pas vitale en France. Mais pour les citoyens du monde confrontés à des institutions fragiles ou corrompues, où la notion de propriété n’existe pas, pour les 1,7 milliards d’individus qui ne possèdent pas de comptes bancaires et qui doivent cacher leurs billets sous le matelas, pour les 230 millions d’expatriés qui sacrifient chaque mois des frais exorbitants pour envoyer des fonds à leurs familles restées dans leurs pays d’origine, pour les femmes afghanes qui se voient privées de la gestion de leurs propres économies ou encore pour les Vénézuéliens, les Libanais ou les Argentins qui doivent composer avec une monnaie rongée par une inflation à 3 chiffres et qui ne peuvent pas se réfugier sur des devises étrangères du fait de contrôles des changes drastiques, les actifs numériques offrent un havre de sécurité inespéré.

Les actifs numériques resteront-ils dès lors une monnaie du “tiers monde” ? Je ne le pense pas. Car les pays développés sont particulièrement intéressés par son efficacité opérationnelle et à l’heure où la confiance dans les institutions s'érode, la transparence offerte par les actifs numériques séduit de nombreux investisseurs et utilisateurs.

Bonds 640x300

En ce qui concerne l’allégation selon laquelle les actifs numériques servent de monnaie pour une économie souterraine, cela est vrai, mais pas autant que les monnaies traditionnelles. La dernière étude de Chainalysis (le leader de l’analyse de transactions blockchains) évalue la part des transactions en actifs numériques associée à des activités illicites à 0,24%. Tandis que l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime estime que les activités illicites rapportent l’équivalent de 3,6% du PIB mondial.

Mais comme il n’y a pas de fumée sans feu, il me semble important d’expliquer l’origine de cette réputation. Cette idée reçue me semble être le fruit de deux éléments.

Le premier est la confusion entre anonymat et pseudonymat. La blockchain est une sorte de grand registre de données distribué qui permet à tous ceux qui le souhaitent de consulter l’historique de l’ensemble des transactions passées sur le réseau, avec les dates, les montants échangés et les différents protagonistes. Or, afin de respecter la vie privée des utilisateurs, ces derniers ne sont désignés que par une “adresse publique", l'équivalent de l’IBAN en quelque sorte. Ils ne sont donc pas anonymes, mais pseudonymes. Une distinction qui implique une traçabilité totale et permanente de toutes les transactions réalisées, et une exposition sans fin à quiconque décide de les analyser. Il est possible de remonter l’ensemble des transactions d’une blockchain, et ce jusqu’à sa création. En conséquence, les actifs numériques ne sont pas fongibles au même titre que la monnaie traditionnelle, chaque token a son histoire. C’est finalement un système comparable à celui de la monnaie scripturale, infiniment plus transparent que celui des espèces.

Le deuxième élément n’est autre que l’Histoire. En février 2011, Ross Ulbricht met au point le sulfureux site Silk Road. Hébergée sur le darknet, ce marché noir permet d’acheter et de vendre toute sorte de produits illégaux (armes, drogues, et autres joyeusetés) avec pour seule et unique monnaie… Bitcoin, choisi pour son “anonymat”. Le site connaît un gigantesque succès, et brasse l’équivalent de 184 millions de dollars de ventes entre 2011 et 2013. En 2015, le site est définitivement fermé et son propriétaire condamné à la prison à perpétuité. Autre épisode important : le contournement des sanctions américaines par WikiLeaks, qui annonce via Twitter le 15 juin 2011 accepter les dons en Bitcoin. L’ONG, fondée par le lanceur d’alertes Julian Assange, réagit ainsi aux pressions du gouvernement américain sur Visa, MasterCard et PayPal, qui bloquent tous les transferts de fonds de leurs utilisateurs vers la plateforme. Bitcoin révèle alors la capacité intrinsèque de son architecture décentralisée à résister aux injonctions politiques et à la censure.

On parle ici des jeunes années de Bitcoin et, à cette époque, les régulateurs ne disposaient pas des outils ou des compétences leur permettant de tracer les flux financiers sur la blockchain. Ce déficit a depuis été comblé, entraînant une baisse du nombre de transactions illicites sur le réseau.

En réponse à ce phénomène, de nouvelles crypto-monnaies sont apparues visant à recréer des conditions d’opacité. La plus connue d’entre elles est Monero, créée en 2014, qui utilise des systèmes cryptographiques très complexes de manière à ce qu’il soit très difficile de connaître les montants envoyés dans chaque transaction et d’en identifier les parties prenantes. Ce type de blockchain constitue une menace pour la démocratisation des actifs numériques. Il ne fait guère de doute que le progrès des outils d’analyse transactionnelle permettra tôt ou tard de “craquer” cette monnaie et de restaurer l’auditabilité des transactions. 

OL : Je souhaiterais que l’on revienne sur la faillite de la bourse de crypto-monnaies FTX et la condamnation de son dirigeant Sam Bankman-Fried pour fraude et association de malfaiteurs. Ma compréhension est que FTX a détourné des crypto-actifs inscrits sur les comptes de ses clients pour alimenter l’activité spéculative d’une société sœur (Alameda Research). Dans le monde des titres, une telle fraude aurait été impossible de par l’intervention d’un dépositaire chargé de vérifier la légitimité de toutes ces transactions. Cela semble montrer qu’au-delà du risque lié à la volatilité d’une crypto-monnaie, que tout le monde perçoit, il y aussi un risque lié à la sécurité de leur conservation. Cette synthèse est-elle correcte ou y a-t-il d’autres dimensions dans le scandale FTX ? Et existe-t-il des moyens pour un investisseur de se prémunir contre ce risque de conservation ?

MC : La synthèse est juste. Si les banques elles-mêmes recyclent une partie de l’épargne de leurs clients pour alimenter des activités de crédit, elles le font dans un cadre très réglementé et avec, pour l’épargnant, la garantie des dépôts assurée par l’État en filet de sécurité.

De mon point de vue, l’affaire FTX souligne surtout la faiblesse du régulateur américain sur le sujet des actifs numériques, peut-être aggravée par le fait que Sam Bankman-Fried avait des liens privilégiés avec la Securities Exchange Commission et les sphères politiques. J’ose espérer qu’un tel désastre n’aurait pas été possible en France, grâce à un régulateur plus attentif et un cadre réglementaire mieux établi. Il est important de rappeler que les actifs numériques sont à un stade de développement embryonnaire et tout comme la finance traditionnelle qui a également trébuché par le passé, je suis convaincu que cet évènement permettra à l’écosystème tout entier de gagner en maturité.

Pour l’investisseur, il est possible de se protéger contre ce type de fraude en rapatriant ses crypto-actifs sur la blockchain plutôt qu’en les laissant en conservation auprès d’un intermédiaire. C'est un principe de prudence que nous appliquons chez Mon Livret C. Cela pose néanmoins un autre problème de sécurité : la conservation de sa clé privée qui est l’équivalent de son mot de passe en finance traditionnelle. En cas de perte de celle-ci, personne ne peut intervenir pour protéger ou récupérer les fonds. Par ailleurs, cette solution engendre des frais de transaction plus importants.

OL : Dans l’univers des crypto-monnaies, les stablecoins sont les plus proches de pouvoir offrir un moyen d’échange non-spéculatif. Pourtant la Banque pour les Règlements Internationaux (BRI) vient de publier un rapport pointant les fréquentes ruptures de parité des stablecoins avec leur devise de référence et, plus grave encore, la faible auditabilité des réserves de devises qui sous-tendent leur convertibilité. Quel regard portez-vous sur le sujet ?

MC : Le rapport de la BRI est particulièrement intéressant. Ils ont analysé la quasi totalité des stablecoins du marché et sont donc allés au bout du sujet, ce qui mérite d’être salué. 

En ce qui concerne les pertes de parité fréquente des stablecoins, il est important de rappeler qu’ils sont, au même titre que les autres actifs numériques, soumis à la stricte loi de l’offre et de la demande. C’est cette dernière qui détermine leur prix sur le marché et qui est donc à l’origine de leur volatilité. Même si la banque centrale émettait un stablecoin, celui-ci connaîtrait vraisemblablement de légères pertes de parité rapidement arbitrées par les acteurs du marché. 

Il existe 4 types de stablecoins aujourd’hui : les stablecoins centralisés, les stablecoins décentralisés et les stablecoins décentralisés et algorithmiques. Le quatrième type est une hybridation des deux derniers.

Les plus populaires sont les stablecoins collatéralisés, ce qui signifie qu’ils sont basés sur des actifs traditionnels. Par exemple, l’USDC est émis par la société Circle, enregistrée aux États-Unis. Afin d’obtenir un USDC de sa part, vous devez leur envoyer un “vrai” dollar sur leur compte bancaire. Votre dollar sera ensuite converti en actifs générant du rendement tels que des bons du trésor. Et ce sont ces rendements générés qui constituent le chiffre d'affaires de Circle. Et lorsque vous le souhaiterez, vous pourrez, dans le sens retour, échanger vos USDC contre des dollars. La parité sur le marché sera assurée par des acteurs à l’affût d’arbitrages qui achèteront/vendront l’USDC contre le dollar dès qu’il s’écartera de la parité. Tout repose donc sur la confiance des acteurs sur la capacité à échanger un USDC contre un dollar. Les stablecoins centralisés sont globalement les plus sûrs, mais cela ne les empêche pas de subir occasionnellement des pertes de parité. La plus récente sur l’USDC remonte à mars 2023, lorsque la Silicon Valley Bank s’est déclarée insolvable. Environ 8% des réserves en dollars de Circle étaient hébergées dans cette banque, et le token a donc chuté à 0,92$ avant de retrouver la parité à l’annonce du sauvetage de la banque.

La question de l’auditabilité des réserves de ce type de stablecoin est un excellent point soulevé par la BRI. Ces tokens sont collatéralisés par des dollars ensuite convertis en obligations ou bons du trésor. L’enjeu pour assurer la confiance des investisseurs est donc de fournir des preuves de l’existence et de la valeur de ces réserves. Et tous ne sont pas égaux face à cela. Un seul stablecoin (TrueUSD) fournit ces preuves sur base quotidienne. Les autres, moins exigeants, ne publient ces informations que sur base mensuelle, trimestrielle voire semestrielle. C’est un critère à prendre en compte lorsqu’on choisit son support d’investissement.

L’autre point soulevé par la BRI, et qui est tout aussi pertinent, est la qualité des auditeurs et des méthodes comptables employées qui varient d’un stablecoin à l’autre. Rappelons néanmoins que l’étude porte sur 68 stablecoins. Les stablecoins les plus utilisés sont moins sujets à cette critique. Enfin, j’ajouterais également que le maintien de la confiance est un enjeu critique pour les sociétés émettrices de stablecoins. Elles ont donc tout intérêt à assurer la transparence et la sécurité afin d’assoir la pérennité de leurs stablecoins.

Ensuite, nous avons les stablecoins décentralisés et collatéralisés. Ce type de stablecoin est garanti par d'autres cryptomonnaies. Le stablecoin le mieux établi dans cette catégorie est le DAI, dont le collatéral est principalement composé d’USDC, de BTC et d’ETH. Il est géré par une organisation autonome décentralisée (DAO) nommée MakerDAO. Le fonctionnement de ce type de stablecoin est particulièrement transparent, il est donc aisé d’auditer la valeur du collatéral et je ne pense pas que ce soit ce type de stablecoin qui soit visé par la critique de la BRI.

Enfin, nous avons les stablecoins décentralisés et algorithmiques qui utilisent des mécanismes pour équilibrer l'offre et la demande afin de maintenir la parité avec la devise ciblée. Ils ne sont pas garantis par des actifs comme le sont les deux autres types de stablecoins. Il s'agit d'une différence cruciale et la fiabilité de ce type de modèle est encore loin d’être établie.

OL : En 2024, la règlementation MiCA fera de l’Union Européenne la première zone économique à poser un cadre juridique et réglementaire pour les crypto-monnaies. Cette réglementation peut-elle être un atout pour le développement du secteur ou la voyez-vous au contraire comme un frein à l’innovation ?

MC : Pour moi c’est un atout indéniable. Que l’on soit d’accord avec son contenu ou non, cette réglementation établit des règles du jeu solides qui permettront à l’écosystème de se développer et aux investisseurs de participer au sein d’un marché encadré de façon stable, contrairement aux États-Unis où la volatilité réglementaire a contraint des sociétés comme Paxos à quitter le territoire. C’est un élément fondamental de la confiance.

De plus, je suis convaincu que les actifs numériques ont beaucoup à apporter aux interactions économiques au sein de nos sociétés. Or, sans existence juridique, cela serait impossible.

On peut déplorer en revanche que ce règlement ne soit pas adopté à l’échelle internationale. Car les géants internationaux ne sont pas (encore) soumis aux mêmes exigences, ce qui crée une forme de concurrence déloyale. Mais surtout car je pense que tout un pan de cette nouvelle génération d’internet a capacité à passer outre les réglementations nationales. Sans harmonisation à l’échelle internationale, des failles subsisteront.

Enfin je regrette que certains éléments de cette règlementation aillent à l’encontre des valeurs portées par le secteur telles que la décentralisation et le respect de la vie privée. Et ce pour des raisons d’inefficacité opérationnelle du régulateur qui n’a pas souhaité adapter son cadre réglementaire ou ses modes opératoires aux caractéristiques spécifiques de cette nouvelle classe d’actifs.

OL : La Banque centrale européenne vient d’annoncer après deux ans d’étude la poursuite du projet de création de l’euro numérique, en vue d’un lancement en 2025. Quels sont selon vous les objectifs d’un tel projet et quels impacts en attendez-vous pour le secteur des crypto-monnaies ?

MC : En effet, on passe désormais dans une phase d’expérimentation qui devrait durer trois ans et qui posera les bases d'un éventuel euro numérique. Ce n’est pas encore un feu vert car cette décision ne sera prise par le Conseil des gouverneurs de la BCE qu'une fois le processus législatif de l'Union européenne achevé. L’euro numérique n’a donc pas encore de statut officiel à ce jour.

Selon la BCE, l’euro numérique n'a pas vocation à se substituer aux espèces. Il est davantage présenté comme un concurrent de Visa et Mastercard, c’est-à-dire une plateforme permettant aux intermédiaires financiers européens d'offrir des services de paiements dématérialisés. On pourrait donc détenir un portefeuille d’euros numériques avec lequel il serait possible de régler des achats via une application smartphone ou une carte.

Pour l’utilisateur final, le premier intérêt me semble être celui de l’inclusion financière puisqu'avec une telle monnaie numérique, tous les citoyens pourraient disposer d’un moyen de paiement électronique gratuit. Ensuite, l’efficacité opérationnelle d’un tel système serait bénéfique pour l’Europe. Cela réduirait la complexité et le coût d’utilisation de la monnaie. Enfin, le dernier avantage me semble être celui de la sécurité financière. Une monnaie numérique de banque centrale (MNBC) fait disparaître pour son utilisateur le risque attaché à la monnaie scripturale en cas de faillite bancaire.

Pour le régulateur, l’intérêt principal d’une MNBC me semble être la réduction de l’usage des espèces, qui reste le moyen de paiement le plus fréquemment utilisé en Europe, afin de faciliter la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. On ne peut exclure la possibilité que la BCE y voit aussi un moyen d’avoir plus de contrôle sur les courroies de transmission de sa politique monétaire. L’introduction d’une MNBC de détail serait une forme de désintermédiation du système bancaire qui limiterait sa capacité à transformer les dépôts en crédits.

Il n’est donc guère surprenant que les banques commerciales soient peu enthousiastes à la perspective d’une MNBC de détail. Il est vraisemblable qu’un compromis sera trouvé permettant la co-existance d’une MNBC de détail portant sur des montants limités avec une monnaie scripturale qui continuera d’être intermédiée par le système bancaire. 

728x90

Les MNBC font l’objet de nombreuses critiques du fait de leur capacité à devenir un instrument de contrôle extrêmement puissant. Elles pourraient techniquement permettre un contrôle total sur les transactions, mettant à mal la liberté et la vie privée des citoyens. De plus, cette monnaie pourrait être programmable et servir les différentes politiques monétaires en orientant les dépenses des citoyens. Fin 2022, la rumeur avait ainsi circulé du lancement d’un e-Yuan, la MNBC chinoise, qui aurait été assorti d’une date d’expiration afin pousser les ménages à consommer et relancer l’économie.

À titre personnel, je ne suis pas convaincu de l’intérêt d’une MNBC de détail en Europe qui ne me semble pas répondre à un besoin criant. De plus, comme je n’imagine pas la BCE sacrifier les banques commerciales, je doute que la réduction des coûts soit significative. Le système actuel semble par ailleurs performant. 

Enfin, pour les investisseurs en actifs numériques, la conversion en MNBC sera vraisemblablement un événement générateur d’imposition, ce qui n’est pas le cas de la conversion en stablecoins privés à ce jour. Bien que la MNBC présente des avantages de sécurité évidents par rapport aux stablecoins, l’asymétrie fiscale constituerait un frein à l’utilisation de la MNBC.

OL : Merci, Mathieu Charret, pour cet échange.

Pour participer à la discussion sur les réseaux sociaux, c’est ici :

Vous avez apprécié cet article ? Abonnez-vous à notre newsletter gratuite !