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Coup de chaud sur les marchés actions
Bad news is bad news
Le mois d’août commence mal pour les marchés actions. En trois séances consécutives de forte baisse (1er au 5 août), l’indice Nasdaq 100 vient de perdre 8,3 %, le S&P 500 6,7 %.
La plupart des analystes attribuent ce coup de semonce aux résultats décevants des grandes sociétés du secteur technologique américain (Microsoft, Amazon, Apple, Intel) ainsi qu’à la publication de statistiques traduisant une chute des créations d’emploi et un rebond du chômage aux États-Unis.
Méfions-nous cependant du biais narratif si bien décrit par Nassim Nicholas Taleb. Les mêmes commentateurs n’expliquent-ils pas habituellement qu’une hausse du chômage américain appelle une baisse des taux de la Federal Reserve, favorable aux marchés actions ? À l’ère des banques centrales omnipotentes, « bad news is good news », avaient-ils même théorisé. So, is bad news bad news again, then ?
Un narratif trop étroit
Les mauvaises nouvelles d’outre-Atlantique ne semblent pourtant pas suffire à expliquer certains aspects de la correction actuellement en cours. En particulier le fait que le marché actions japonais soit le plus durement touché, perdant jusqu’à 20 % lors des deux séances du 1er et 2 août, et qu’un tel choc s’accompagne d’une forte appréciation du yen, qui a pris 11 % face au dollar depuis le 10 juillet.
En cause, un effet de ciseau monétaire qui a pris les marchés de court. La Banque du Japon (BoJ) était la dernière grande banque centrale à ne pas avoir sensiblement durci sa politique monétaire depuis la sortie de pandémie. Après avoir mis fin, en mars, à sa politique de taux négatifs, la BoJ a annoncé le 31 juillet, face à une inflation persistante, relever ses taux directeurs de 25 points de base, à leur plus haut niveau depuis 15 ans, et réduire de moitié ses volumes de création monétaire (quantitative easing).
Le lendemain même, la Federal Reserve, elle, maintenait ses taux directeurs inchangés tout en ouvrant clairement la porte, au travers de ses commentaires, à une première baisse en septembre.
Cette dissonance monétaire, mal anticipée par le marché, provoque ces derniers jours le dénouement précipité des stratégies de carry trade.
Carry trade, késaco ?
Le carry trade est une stratégie mise en œuvre par des acteurs financiers sophistiqués (banques d’investissement, hedge funds, family offices) consistant à maximiser leur retour sur investissement grâce à des effets de levier basés sur les devises dont les taux d’intérêt sont les plus faibles.
Un hedge fund peut ainsi, au travers du marché des repos (pensions livrées en bon français), apporter une partie de son portefeuille en garantie afin d’accéder à des financements à bas coûts auprès de banques ou de broker-dealers établi(e)s au Japon. Ce financement étant obtenu en yens, il est alors changé dans la devise d’investissement : dans le cas d’espèce, le dollar. Déployée à grande échelle, cette double opération (financement et change) contribue à une appréciation de la valeur des actions visées ainsi qu’à une dépréciation du cours du yen vis à vis du dollar.
Quand d’autres intervenants se lancent successivement dans la même stratégie, ces effets se cumulent au profit des premiers arrivés. De mai 2022 à juin 2024, une stratégie d’investissement dans le NASDAQ 100 financée en yen a ainsi rapporté un gain de 1,66x sur sa composante actions et 1,26x sur sa composante change. En supposant un financement par repo à hauteur de 80% de l’investissement initial, le hedge fund en question aurait multiplié sa mise par 10 en seulement deux ans, sans même prendre en compte sa capacité à obtenir de la dette supplémentaire au fur et à mesure de l’appréciation de son portefeuille.
Ces dernières années, le différentiel de politique monétaire entre le Japon et les États-Unis a renforcé l’attractivité de ces carry trades. L’État japonais lui-même investit à l’étranger à grande échelle en s’appuyant sur de la dette levée en yens. Le poids de ces stratégies a été estimé à 20.000 milliards de dollars, soit l’équivalent de 40 % de la capitalisation boursière des entreprises américaines (même si, bien entendu, les capitaux issus du carry trade ne sont pas exclusivement réinvestis aux États-Unis).
Fast forward juillet 2024. Les investisseurs les plus réactifs, anticipant la possibilité d’une hausse des taux directeurs de la BoJ, commencent à dénouer leurs opérations de carry trade. Par symétrie à leur mise en place, le débouclage de ces stratégies exerce une pression vendeuse sur les indices actions et une pression acheteuse sur le yen. Du 10 au 31 juillet, le Nasdaq perd déjà 6,4 % quand le yen s’apprécie de 7,9 % contre le dollar.
Ce mouvement à bas bruit, à son tour, déclenche des mécanismes d’appels de marges sur les repos en yens encore en place, contraignant d’autres acteurs à réduire leurs expositions jusqu’à provoquer l’emballement de ces derniers jours.
Bons baisers de 2008
Le dénouement précipité de carry trade de la part de hedge funds rappelle inévitablement de mauvais souvenirs de la crise financière de 2008.
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